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colossale est éloignée de cent kilomètres en moyenne, avec des collines étagées qui marquent les distances. C’est vraiment un tableau bien composé, où tout est en valeur. Bientôt nous voici dans le détroit de Tiguina, large de 600 à 700 mètres, qui met en communication le petit lac de Vinamarca et le grand lac ; nous allons d’une rive à l’autre et nous voyons les caravanes de lamas arriver au bord et se présenter pour embarquer dans le bac. L’église de Capocavana apparaît sur la rive Est avec ses tuiles brillantes, vert et jaune, qui rappellent les mosquées marocaines ; elle contient une statue miraculeuse, et ce sanctuaire, dédié à Notre-Dame de la Chandeleur, est le pèlerinage le plus fréquenté du Sud-Amérique ; on y vient du Mexique et même d’Europe. — Cette petite presqu’île, dominée par un volcan éteint, a toujours exercé une attraction singulière ; cinq sièges de pierre polie y évoquent le tribunal de l’Inca, et des idoles très anciennes, objets de cultes oubliés, y ont été retrouvées.

Nous débarquons dans l’ile du Soleil, sur la côte Est, et nous gravissons rapidement une colline rocheuse d’une centaine de mètres. Près du sommet, des mines très différentes de celles que nous avons visitées à Tihuanaco : ce sont des maisons d’habitation, dont les deux étages se sont écroulés. Les murs sont en pierres naturelles, assemblées sans grand art, dont la face plane forme la muraille extérieure de la maison. Des pièces nombreuses toutes petites communiquent entre elles par d’étroits passages. Quantité de niches en ornent les murs, emplacements de statues ou simplement placards. C’est le Chingana ou Labyrinthe. Bientôt nous arrivons sur un plateau, que termine un large rocher à pic sur le lac : c’est le Roc Sacré, aujourd’hui solitaire, où tant de générations sont venues, en longues théories, célébrer les fêtes religieuses dont le souvenir vit encore dans la mémoire des populations. Au fronton de la pierre, des lignes naturelles jaunâtres dessinent grossièrement la tête d’un chat sauvage ; — en aymara, titi ; dans la même langue, roc se dit kala ou kaka, d’où le nom du lieu Titicaca, puis de l’île, qui serait devenu celui du lac lui-même.

Un peu plus loin, on distingue sur un autre rocher des empreintes de pas dues à la pluie qui a usé les parties les plus tendres de la pierre ; il faut y voir les traces des pieds laissées par le couple divin le Soleil et la Lune, descendus des cieux, frère et sœur en même temps qu’époux, qui ont eu pitié de la