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une enquête aux pays du levant.

repose dans le tombeau de la famille Tobia, et justement ils ont pour élève un petit Tobia. On va l’aller chercher ; il nous conduira.

— Nous vous montrerons le figuier sous lequel Renan écrivait la Vie de Jésus.

Gaillardot rectifie :

La Vie de Jésus, c’est à Ghazir.

— Il y a ici un figuier sous lequel il écrivait.

D’ailleurs, ils s’excusent d’avoir peu de chose à me dire sur l’écrivain. Ce qu’ils savent, c’est qu’il avait bien choisi sa résidence :

— À Amschit, nous sommes sur un rocher, mais partout ailleurs, près du rivage, près du fleuve, c’est la fièvre.

À la fin du repas, arrive un gentil garçon, le fils de M. Tobia. Allons voir sa maison, où habita Renan, et son père qui se souvient très bien de l’avoir connu.

Chemin faisant, je cause avec l’enfant :

— C’est bien beau, votre pays. Je n’en ai pas vu de plus beau dans le monde.

— Ah ! me dit-il, quand M. Védrines a passé, ici, dans le ciel, il a ralenti son vol.

Cette phrase subitement m’étonne d’émotion. Je me tais. Comme ce gentil bonhomme est fier de sa terre, et qu’il associe heureusement l’idée du ciel à l’idée de la France !

M. Bonnier, continue-t-il, est venu aussi au-dessus de la montagne.

Des quatre coins de la colline, d’autres écoliers et de plus grands garçons nous rejoignent. Ils me font la conversation, avec une politesse parfaite, et aussi couramment que des enfants de France. Je félicite leurs éducateurs.

— Dès maintenant, la moitié du village parle français, me disent-ils, et revenez dans cinq ans, les deux tiers l’emploieront couramment.

Le maître du logis, le propre fils de Zakhia Schalhoub, qui fut l’hôte de Renan, est encore habillé à l’arabe. À côté de lui se tient sa petite-fille, une jeune demoiselle de quatorze arts, vêtue à la française, et qui reçoit son éducation chez les Sœurs. En 1861, il avait quatorze ans et ne quittait guère Renan. Il m’apporte une photographie toute décolorée avec cette dédicace : « À mon vieil ami Tobia, Ernest Renan, 1885, » et quelques