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J’attends M. Périolas demain ; il faut vous trouver avec lui, et vous retournerez à Bourges ensemble. Je m’engage à vous éviter tous les pistonnages de Carraud. Auguste travaille avec acharnement et dans une solitude complète ; il n’est des nôtres qu’aux repas. Vous verrez mon Yorick, et vous lui soufflerez sur le front, afin de fluidifier son intelligence. Rien de bon comme cet enfant, qui n’a encore été mécontent de personne au monde !

Ce que vous me dites de Laure m’affecte beaucoup. Une maladie de femme, à son âge ! C’est effrayant ! Qu’elle soit donc bien patiente et bien docile au traitement qu’elle va entreprendre, car la moindre infraction aurait des conséquences graves et irréparables. Dites-lui que je l’aime toujours bien. J’avais espéré que votre frère, ayant mis la moitié du globe entre lui et sa famille, ne lui donnerait plus de soucis. Quelle fatalité l’a ramené en France ? Votre pauvre mère ! Comme elle doit pleurer ses caresses folles à ce fils-Ià ! Qu’est donc la vie, Honoré, pour qu’on se tourmente tant à la rendre brillante et ornée ? N’a-t-elle pas, même pour ses favoris, une épine cruelle qui fait soupirer après quelque chose de mieux ? Je me soigne, en ne pensant jamais à moi. Oh ! cher, le jour où le moi se sera fait sentir, j’appellerai la mort avec ferveur ! J’espère n’être jamais dégradée à ce point. J’ai l’âme de mon digne père ; il est mort à quatre-vingt-deux ans, sans avoir jamais senti les exigences du moi ; aussi, nous l’adorions.

Adieu, à bientôt, pour Dieu ! Vous ne me retrouverez plus l’année prochaine ; tout sera effacé, détruit !


Encore une déception : Balzac ne vient pas, ne répond pas. Le 17 mai, Mme Carraud reprend la plume.


Eh bien, cher ! vous avez donc laissé nos lilas se faner ? Les roses s’épanouissent, les laisserez-vous passer aussi sans les voir ? Le repos est ici, dans nos allées. Si vous êtes épuisé par vos excessifs travaux, venez à Frapesle ; dès le lendemain vous serez rendu à vos forces premières. Il y a quelque chose dans l’air d’éminemment calme et rafraichissant, et comme ce ne sont pas des inspirations que vous viendrez chercher auprès de moi, rien ne vous manquera. J’ai ici un de mes frères, dont l’esprit original vous plaira [1]. Venez donc, ne fût-ce que pour

  1. Sans doute, Silas Tourangin, né en 1790, officier, de six ans plus âgé que sa sœur Zulma.