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Adieu ; portez-vous bien. Je vous serre la main, et vous prie d’offrir à Mme de Berny l’expression de ma sainte gratitude.


Balzac est toujours surmené ; au mois d’août il écrit : « Je ne vous oublie pas, moi ! mais je travaille nuit et jour et n’ai pas une minute pour écrire. Je vous en prie, faites-moi savoir par un mot comment vous vous portez ; quelques détails sur votre santé. J’ai ici une lettre pour Borget ; je vous l’envoie, faites-la-lui passer ; je ne sais où il est [1]. »

Puis il lui conte des histoires de libraires, Gosselin, Werdet. Mme veuve Béchet. La santé de Mme de Berny contribue à l’inquiéter : « Elle est à la campagne, et moi je suis forcé d’être à Paris. » Le 15 août, Mme Carraud lui répond :


Vous oublier, mon cher Honoré, et cela parce que je ne puis vous écrire ! Mais vous ne savez pas que je n’écris qu’avec douleur, que je ne puis marcher sans douleur, que tout mouvement m’est infiniment douloureux ? Je me lève, plus lasse que je ne me suis couchée, ce qui semble d’abord assez singulier, mais qui s’explique par la difficulté que j’ai à conserver une position supportable ; en somme, je ne vaux pas grand chose. J’ai eu un mois de bon, et j’en ai bientôt vu la fin. Non, en vérité, je ne vous oublie pas ; je n’avais pas oublié que vous deviez aller en Italie, et j’ai cru longtemps que vous y étiez réellement. J’espérais que vos charges littéraires s’allégeraient plus vite, et vous rendraient cette liberté après laquelle nous soupirons tous. Votre lettre, qui m’a fait tant de bien, m’a été particulièrement précieuse sous ce rapport que vous apercevez enfin cette oasis, comme vous dites, où vous devez respirer un air plus léger, et trouver la vie plus coulante.

Alors vos amis réclameront leurs vieux privilèges et vous solliciteront de venir les voir, moi entre autres. J’aurais bien désiré quelques jours de votre temps, car je ne sais s’il est bien raisonnable à moi de compter sur un avenir quelconque. Je suis assez bien casée maintenant pour ne pas craindre de vous recevoir. Mais, outre que je n’oserais solliciter un sacrifice dont tout l’avantage serait pour moi seule, ce que vous me dites de l’état de Mme de Berny m’affecte vivement et me fait sentir que je ne puis rien demander pour moi. Pauvre dame ! Il est impossible d’être plus attaché à quelqu’un que l’on ne connaît qu’intuitivement,

  1. Correspondance, I, 282.