Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/634

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cardinal, ou bien que le cardinal ait conçu une vive jalousie du succès de la pièce par amour-propre de poète et qu’il se prépare à se venger cruellement de l’auteur en le persécutant. Etablissons comment les faits qui vont suivre se sont déroulés.


LA QUERELLE DU CID

Nous avons dit que la plupart des émules de Corneille étaient des jeunes gens de son âge. Que le triomphe du Cid les ait surpris, puis troublés et affligés, il n’y a rien là qui ne soit fort naturel. Après le premier moment d’hésitation, ils insinuèrent qu’assurément, la pièce était belle, mais qu’elle contenait des imperfections. Ils formulèrent des critiques : il y avait à relever des erreurs, des manques de tact, de jugement, des expressions incompréhensibles, des vers obscurs, mal écrits. On répéta surtout que la pièce était inspirée à ce point d’une certaine comédie espagnole de Guillem de Castro que l’admiration du public allait précisément à ce qui provenait du texte espagnol. Par suite, le Cid était un plagiat, Corneille n’était qu’un « traducteur » et un « copiste, » le succès de sa pièce était usurpé. Ceux qui colportaient ces propos étaient principalement Scudéry et Mairet.

Ces bruits, qui couraient sous le manteau, y seraient probablement demeurés, personne n’osant, devant l’engouement de la foule, élever la voix, et, peut-être, n’y eût-il pas eu de « querelle du Cid, » si Corneille, imprudemment, n’avait lui-même donné le signal, ainsi que le dira expressément Mairet, et engagé la bataille. Retenons ce fait essentiel auquel Richelieu est assurément étranger.

Tel que nous le connaissons, Corneille fut irrité au dernier point par les critiques dont il était l’objet. Peu après le moment où parut le Cid, imprimé à la fin de mars 1637, il publiait la pièce de vers anonyme, l’Excuse à Ariste, dans laquelle il attaquait directement ses envieux, et notamment, sans le nommer, Scudéry, faisant preuve, il faut le dire, d’une assurance un peu excessive.


La fausse humilité ne m’est plus en crédit.
Je sais ce que je vaux et crois ce qu’on m’en dit...
Par leur seule beauté ma plume est estimée.
Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée