Quelques mois après l’armistice, parcourant l’Alsace, j’interrogeai plusieurs Alsaciens de ma connaissance sur les événements dont leur pays avait été le théâtre depuis 1914. Ces événements, je les avais suivis attentivement pendant la durée des hostilités, à travers les journaux alsaciens et allemands et d’après les informations d’un service de renseignements militaires ; je savais les milliers de condamnations infligées par les Conseils de guerre aux Alsaciens coupables de « sentiments hostiles à l’Allemagne, » et j’avais lu les aveux que l’attitude de ces rebelles avait arrachés à tant d’Allemands. Quand j’assistai à l’entrée de nos troupes et vis le délire de l’Alsace, j’eus la curiosité de mieux connaître quelles épreuves, quelles humiliations avaient pu porter ce peuple délivré à un tel paroxysme de haine et d’allégresse. J’aurais voulu pouvoir reconstituer les phases de cette histoire tragique. Or, je ne recueillais que des souvenirs confus. Les Alsaciens que je questionnais, se montraient, avec la meilleure foi du monde, assez disposés à croire que, dès le 1er août 1914, ils étaient déjà dans un état d’esprit analogue à celui où les trouva l’armistice. Dans les grandes crises sentimentales, nous perdons facilement la mémoire des émotions successives qui nous y ont acheminés. Pour tout comprendre, il eût fallu avoir sous les yeux des notes prises au jour le jour par un Alsacien capable de voir clair en lui-même et dans la pensée de ses compatriotes.
Un jour, quelqu’un me dit : « Le journal privé que vous cherchez existe. Connaissez-vous notre grand artiste, Charles