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colonial entre la France et l’Angleterre : de 1893 à 1898, M. Hanotaux signait quatorze conventions réglant autant de difficultés aiguës ; une seule restait, celle d’Egypte, que M. Delcassé allait régler tant bien que mal après la crise de Fachoda ; désormais le terrain était libre pour une entente. En Angleterre, les partisans d’un accord avec l’Allemagne reculaient ou changeaient d’avis : le 30 novembre 1899, M. Joseph Chamberlain préconisait à Leicester une alliance avec l’Allemagne ; le 25 octobre 1901, il tenait à Edimbourg un langage tout opposé. Entre ces deux dates se place le revirement de la politique britannique. De 1898 à 1901, à plusieurs reprises, le Foreign Office, dirigé par lord Salisbury, tenta encore d’arriver à une entente avec l’Allemagne. Mais la guerre du Transvaal avait montré à l’Angleterre les faiblesses de son empire ; Edouard VII montait sur le trône ; lord Lansdowne entrait au Foreign Office. Dans l’histoire du rapprochement franco-britannique, à ces deux personnages revient l’initiative. A travers les crises marocaines et balkaniques « l’Entente cordiale » fit ses preuves, mais jamais elle ne prit forme définitive dans un traité d’alliance qui eût découragé l’Allemagne de nous attaquer en 1914. La victoire gagnée en commun, l’objectif essentiel atteint, c’est-à-dire le danger maritime, colonial et commercial allemand écarté pour longtemps, l’Angleterre, obéissant à un instinct profond de sa race insulaire et aux traditions séculaires de sa diplomatie, est revenue à un système d’équilibre. « Qui je défends est maître, » disait Henri VIII. Cette tactique de contrepoids n’est pas accidentelle ; elle est le fondement même de l’histoire et de la politique britanniques.

Mais l’instinct trompe parce qu’il est immuable et que les circonstances changent. L’erreur du Gouvernement britannique, depuis l’armistice, a été de ne pas comprendre que l’Allemagne possède une puissance de haine et reste une force militaire et économique, dangereuse pour le continent et même pour les îles. Lord Grey disait fortement le 27 février : « Notre sécurité est liée à celle de la France. Ni l’un, ni l’autre de nos deux pays ne peut tenir sans l’autre. » Plus exactement, aucun des deux pays ne peut faire régner l’ordre et la paix sur le continent européen sans le concours de l’autre. Ainsi l’alliance est à la fois indispensable et impossible ; c’est un mirage décevant qui fuit chaque fois qu’on s’imagine le saisir ; c’est une conception que conçoit difficilement le cerveau britannique ; il admet « l’assistance, » qui le laisse médiateur et juge, comme dans le pacte illusoire de 1919, mais non l’alliance qui comporte