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les lettres, les arts et les sciences peuvent être en grand honneur. César-Auguste, malgré ses crimes, Napoléon, malgré ses appétits belliqueux, les Médicis, malgré leur corruption et leurs débauches, ont fait prospérer dans leurs États une brillante civilisation matérielle. Cette civilisation qui s’épanouit sous un tyran est peut-être un peu factice ; mais la liberté n’est pas toujours, au moins pour un temps, la condition nécessaire du progrès.

La Convention et Napoléon ont créé des œuvres stables et une forte organisation sociale, sans s’embarrasser de libéralisme et d’idéologie. L’État prussien n’était guère plus libéral, et cependant il a pu donner à l’Allemagne une armée vigoureuse, de bonnes finances, une flotte imposante, des institutions commerciales et scientifiques très solides.

Il n’est pas besoin de dire ici que je n’ai nul goût pour le despotisme et que la liberté me paraît un bien supérieur. Pourtant, s’il existait, s’il pouvait exister, un pouvoir tyrannique irréprochable et infaillible, inaccessible à l’intrigue, un roi sage comme Salomon, juste comme saint Louis, charitable comme saint Vincent de Paul, amoureux des sciences, des arts, des lettres, incapable d’erreur ou de faiblesse, je m’accommoderais d’un tel souverain, et je lui sacrifierais peut-être (non sans quelque hésitation) ma liberté, c’est-à-dire, somme toute, la liberté du bien et du mal. Mais où le trouver, ce souverain impeccable, sinon dans la fumée de mes rêves ?

L’expérience est là pour nous apprendre que toujours les despotes ont, après des péripéties diverses, mené leurs peuples à la ruine. Alors je n’hésite plus… mon choix est fait… je préfère la liberté.


Et je conçois très nettement comme civilisée et non barbare, une nation où la Loi, la Loi seule, est souveraine ; une nation où chaque citoyen garde, en plus ou moins nette vision, la notion dominatrice du droit et de la justice.

Et, comme la Loi est une personne revêche qui ne sourit pas tous les jours, pour donner un peu de douceur et un peu de grâce à cette austère personne, il faudrait que le sentiment de la solidarité, de la charité, ou, plus simplement peut-être, de l’indulgence, fût au cœur de tous ses enfants. Cette indulgence tolérante, je la voudrais rehaussée par l’urbanité et la poli-