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énormes cités ouvrières où des milliers d’artisans, transformés en automates, peinent pendant des jours, des semaines, des mois, des années, pour effectuer la même abrutissante besogne. Ce n’est pas bien élégant.

Mais, d’autre part, le machinisme aboutit à augmenter le bien-être de tous, fût-ce de ces mêmes ouvriers. Je ne vois pas par quel sophisme on trouverait mauvais de faire produire aujourd’hui à deux hommes ce qui nécessitait hier le travail de dix hommes. Le moindre effort est désirable. Or c’est le moindre effort que réalisent nos machines. Certains métiers de tissage maniés par dix artisans effectuent en une journée le travail qui eût, pour ces mêmes artisans travaillant isolément, nécessité tout un mois. Une machine linotype maniée par deux compositeurs fait le travail de dix compositeurs. Progrès ! Une boulangerie mécanique fabrique dix fois plus vite le pain que ne faisaient les boulangers d’autrefois. Progrès ! Et progrès d’autant plus appréciable que le pétrissage du pain par des mitrons est une pratique dégoûtante, indigne d’un peuple civilisé.

Évidemment le machinisme dévergondé qui menace de nous envahir n’est pas sans danger. Mais, somme toute, nous ne pouvons pas en nier les lourds bienfaits, car le bien-être augmente, et par conséquent le bonheur matériel, à mesure que les objets deviennent moins coûteux et mieux adaptés à nos besoins.

Ce serait un étrange paradoxe que d’incriminer l’invention des allumettes parce qu’elles emploient des milliers d’hommes à un travail servile et parce qu’elles facilitent les incendies. Voudrait-on revenir aux temps préhistoriques, alors que l’homme primitif avait besoin, pour faire du feu, de frotter l’un contre l’autre deux morceaux de bois sec ?


— Parmi les éléments matériels de notre civilisation, il faut faire une très grande part aux sciences médicales. Le bonheur des hommes est étroitement lié aux progrès de la médecine, de la chirurgie et de l’hygiène. Car la maladie, la douleur et la mort, que les médecins se sont donné pour mission de combattre, sont trois déesses exécrables et perfides qui représentent ce que l’homme déteste et redoute le plus.

Aux premiers âges de l’évolution humaine, et aujourd’hui encore chez les sauvages qui ont gardé leur barbarie ancestrale,