Thalès croyait que le soleil était grand comme le Péloponèse ! Dure erreur ! Mais ce ne serait pas une moindre erreur de déclarer l’esthétique grecque inférieure à la nôtre. Thalès sait moins de choses que Newton et Lavoisier, mais ce n’est pas une raison pour proclamer qu’Eschyle est inférieur à Goethe.
C’est comme si on prétendait que la beauté de l’art industriel moderne est supérieure à la beauté de l’art industriel ancien. Les modes changent très vite. Le style des meubles, des maisons, des robes, des coiffures, passe par des phases très rapides, presque des changements à vue, comme dans les féeries. Mais ces transformations incessantes et fugitives ne peuvent être interprétées comme un progrès vers le beau, un graduel acheminement à une plus grande perfection esthétique.
Le style en littérature est sujet aux mêmes évolutions, sans qu’on puisse en inférer que c’est une évolution vers le mieux. La phrase solennelle, robuste, austère, abstraite, du XVIIe siècle, a été remplacée par la phrase courte, nette et sèche du XVIIIe. Puis, au début du XIXe, avec Chateaubriand, Victor Hugo et Michelet, ce fut le style imagé, sonore, bruyant, riche en métaphores et antithèses. En l’an de grâce 1923, toute une jeune littérature s’efforce d’être absconse, impénétrable. L’incompréhensible triomphe, et il faut être de mon vieil âge pour ne pas admirer ce qui ne se comprend pas.
De vrai, ce sont des modes littéraires qui passeront, et auxquelles d’autres succéderont, sans qu’il y ait progrès de l’une à l’autre. Amyot n’écrivait pas plus mal que Bourdaloue, ni Voltaire plus mal que Victor Hugo, ni Chateaubriand plus mal que Marcel Proust. Nous avons le droit de garder nos préférences secrètes, mais il serait déraisonnable de dire que l’esthétique littéraire est en décadence ou en progrès.
De même en architecture. Le Panthéon et le Parthénon ne sont pas de moindre beauté que Notre-Dame de Paris, et la cathédrale d’Amiens n’est pas plus laide que le Trocadéro.
La science fait des conquêtes chaque jour ; mais l’art n’en fait point. Si nous sommes supérieurs aux anciens, ce n’est pas par une esthétique supérieure ; c’est par le progrès de nos sciences.
Toutefois, si l’art ne fait nul progrès au point de vue de la perfection esthétique de telles ou telles œuvres, il peut cepen-