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divers éléments dont est constituée la civilisation. C’est cette dissociation que je me propose de faire ici, et j’espère qu’on accueillera ma tentative avec indulgence ; car c’est la première fois, pensons-nous, qu’elle a été méthodiquement entreprise [1].


I


Il y a d’abord le point de vue intellectuel.

Évidemment l’état civilisé implique quelque connaissance plus ou moins approfondie des choses. La science fait partie intégrante de la civilisation. On est plus civilisé à savoir que les éclipses de lune sont dues à l’interception des rayons solaires par la planète terrestre, qu’à se figurer la lune dévorée par un dragon. On est plus civilisé quand on sait la cause des maladies : pullulation d’un microbe, et non colère d’un ange exterminateur.

Toutefois, l’ensemble de nos connaissances scientifiques actuelles, si imposant qu’il nous apparaisse au prix des temps passés, est assez médiocre au prix de ce que seront les sciences dans quarante siècles, voire dans dix siècles, voire dans un siècle seulement. Il suffit, pour s’en rendre compte, de comparer notre science d’aujourd’hui à la science d’il y a cinquante ans. Nous avons assisté au bouleversement de toutes les idées médicales, rénovées par le génie de Pasteur. En physique générale, la transformation des idées a été extraordinairement rapide. Des notions imprévues, prodigieuses, surgissent chaque jour, et font entrevoir un avenir de théories et de conceptions plus prodigieux et plus imprévu encore.

Donc, ne serait-ce qu’au point de vue intellectuel, aujourd’hui la civilisation est bien supérieure à ce qu’elle fut aux temps de Léonard de Vinci et même de Franklin, et bien au-dessous de celle en laquelle vivront nos arrière-petits-enfants.

Donc toute civilisation progresse avec la connaissance.


Mais ici une distinction importante est nécessaire.

Il ne suffit pas qu’un petit groupe de lettrés ou de savants ait pu, par un labeur scientifique pénétrant, découvrir quelques

  1. Les ouvrages, difficilement comparables, de Condorcet, de Guizot, de Buckle, de Gobineau, sont plutôt l’histoire des civilisations diverses, qu’une étude sur la nature même de la civilisation.