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Turin, 25 janvier 1860.

Monseigneur,

Rappelé par la bonté du Roi à la direction des affaires de mon pays, je sens le besoin d’invoquer comme par le passé la bienveillance et l’appui de Votre Altesse Impériale. Ses sentiments pour l’Italie sont toujours les mêmes, je le sais, c’est ce qui me fait espérer que ceux dont elle m’a si longtemps honoré, ne sont pas altérés. L’Italie a plus que jamais besoin de l’appui de la France ; près du but de bien des efforts, elle ne saurait l’atteindre, si l’Empereur, la prenant par la main, ne l’aidait à surmonter les obstacles qui l’en séparent encore.

Depuis ma dernière entrevue avec Votre Altesse, que de grands événements ! Combien les germes contenus dans le traité de Villafranca se sont développés d’une manière merveilleuse ! La campagne politique et diplomatique qui l’a suivi a été aussi glorieuse pour l’Empereur, plus avantageuse pour l’Italie, que la campagne militaire qui l’a précédé. La conduite de l’Empereur envers Rome, sa réponse à l’archevêque de Bordeaux, son immortelle brochure, la lettre au Pape, sont, à mes yeux, des titres à la reconnaissance des Italiens, plus grands que les victoires de Magenta et de Solférino elles-mêmes. Que de fois, en relisant dans ma solitude ces pièces historiques, je me suis écrié : Bénie soit la paix de Villefranche ! Sans elle, la question romaine, de toutes la plus importante, non seulement pour l’Italie, mais pour la France et l’Europe, n’aurait pu recevoir une solution complète, sanctionnée sans réserve par l’opinion publique. En portant un coup mortel, non à la religion, mais aux principes ultramontains qui la dénaturent, l’Empereur a rendu à la société moderne le plus grand service qu’il fût possible de lui rendre. Il a acquis par Ià le droit d’être rangé parmi les plus grands bienfaiteurs de l’humanité.

Votre Altesse Impériale, qui a été témoin des douleurs que la cause de l’Italie m’a fait éprouver, me pardonnera si je lui exprime avec chaleur les sentiments bien différents que j’ai éprouvés depuis lors. J’aurais désiré le faire de vive voix. Je l’avais espéré, mais, craignant maintenant que la course que j’avais l’intention de faire à Paris ne puisse se réaliser, je n’ai pu résister au désir de les lui témoigner par écrit.