confins de l’exaltation, et qu’il n’y a pas lieu de retenir, puisque l’Église, après des enquêtes retentissantes, l’a discréditée. Mais ai-je tort de distinguer, dans cette enthousiaste un peu barbare, et dans les femmes groupées autour d’elle, une sorte de résurrection des puissances qui firent les bacchantes, et de m’émouvoir de leur agitation, comme d’un regret lointain et sourd de cette race ?
Je ne sais si je m’égare sur la portée réelle de cette biographie, si pleine d’enfance, si pleureuse, et qui suscite de tels mouvements populaires. La nappe d’eau comprimée semble avoir jailli, dans la mystérieuse bacchanale qui termine ce roman d’Hendiyé et de ses suivantes.
En 1720, naquit d’une riche famille maronite d’Alep une petite fille, douée d’un force incroyable d’enthousiasme, qui prit la vie, immédiatement, comme font les poètes et les saints, par le côté du ciel. Dès l’âge de trois ans, à toutes les heures, on la surprenait en prière, dans tous les coins de la maison : « J’aime Dieu, » disait-elle, et les Ave Maria la faisaient tomber en pâmoison, par la répétition du nom de Jésus. Et tout de suite deux tableaux, qui ornaient les chambres familiales, s’animèrent pour elle. L’un représentait la Vierge et l’enfant Jésus ; l’autre, le Christ fustigé à la colonne. L’enfant divin et la victime sanglante lui dirent : « Tu fonderas une congrégation composée d’hommes et de femmes, dont tu seras la directrice. — Comment le pourrais-je, Seigneur, moi, faible créature ? » Ces visions, qui venaient continuellement la recharger de volonté, lui firent une âme très forte. Battue par sa famille, blâmée par les uns, louée par les autres, elle décida de gagner le Liban.
Je passe les traits cruels, cette ceinture garnie de pointes à l’intérieur, qu’elle mettait pour « tuer la bête du corps, » ce sang qu’elle tirait de son bras « pour en verser juste autant que le Christ dans sa passion, » ou bien encore cet anneau que le Christ lui ordonna de porter au doigt, en signe de l’engagement qu’elle prenait envers lui. De tels traits se retrouvent chez les saintes chrétiennes, et je m’attache davantage au désir invincible, à la nostalgie, qu’éprouve Hendiyé pour le Mont Liban. Il semble qu’il existe, entre ces profondes vallées et la jeune fille, une relation mystérieuse. C’est là qu’elle veut faire sa vie, c’est là