Au petit matin, nous pliâmes bagage sous la pluie et le vent, mais tout s’apaisa bientôt, et nous revînmes par un autre chemin, sur les hauts plateaux, toujours dans les rocailles, toujours sur les escaliers.
Au cours de cette longue randonnée de six à sept heures de cheval et dans ces sublimités, jonchées de rhododendrons fleuris, je rêve de ramasser sur le parcours de la procession une médaille aux effigies de la déesse, d’Adonis ou de leur temple. Car, de même qu’un amant raffermit son amour, ou s’y concentre, en maniant un anneau qu’il a reçu de sa maîtresse, je me sentirais plus capable de retrouver, par la suite, mes émotions de cette nuit, si j’y étais rattaché par un talisman que j’aurais moi-même déterré, aujourd’hui, et que je serrerais contre moi, tout humide encore du sein de cette magicienne endormie.
Enfantillage, superstition ? Mais quoi ! sur le Nahr-Ibrahim, les problèmes de l’Asie foisonnent. Le long de ce fleuve, puis-je éviter de me demander s’il est des procédés pour déchaîner l’enthousiasme et nous mettre dans l’état des bacchants ? Poète, savant, ou héros, qui ne voudrait savoir s’il est des moyens de faire jaillir l’étincelle ?
L’antiquité le croyait, quand elle accourait à Byblos. Mais à chaque jour, sa tâche ! Nous retrouverons le problème. Je me réserve de le poser bientôt aux descendants des Haschischins et du Vieux de la Montagne, dans les Monts Ansariés, et aux derviches tourneurs, disciples de Djélal-eddin-Roumi, à Konia. Aujourd’hui, d’Afaka à Byblos, il convient que je maintienne mon regard sur ce que je ne verrai pas deux fois… Puissé-je ne rien négliger de ce que l’heure et la circonstance me proposent ! Que je garde mon rang dans la procession qui revient du temple ! Mon pèlerinage s’achève, j’approche du rivage, et ce que je vois et ressens, les fidèles d’Adonis, pour une part, l’éprouvèrent.
Ces gorges noires, ces abîmes qui serpentent dans la montagne sont terribles d’inhumanité. À chaque fois qu’un de leurs détours nous permettait d’apercevoir l’œil bleu de la mer et son sourire féminin, quel épanouissement et quelle espérance ! Au-dessus de Byblos, cette douceur va jusqu’à l’attendrissement. Les collines qui succèdent alors à ces Alpes épouvantables, s’abaissent en prairies, en champs d’oliviers, en modestes domaines heureux, parmi les noyers, les platanes, les mûriers et les vignes, pour aboutir à l’immense horizon d’azur et de