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colonnes d’une addition. M. Bonar Law s’explique avec détails sur le projet qu’il a défendu à la Conférence de Paris, mais il se méprend sur les raisons qui ont empêché les Gouvernements français, belge et italien de l’accepter. Il est persuadé qu’en tout état de cause M. Poincaré était résolu à occuper la Ruhr pour des raisons de sécurité et pour donner satisfaction à l’opinion publique ; c’est une erreur : M. Poincaré se refusait à accorder un moratorium sans gages, mais il aurait accepté d’autres gages. En un mot, la divergence entre les deux thèses est que le Premier britannique proposait de faire confiance à l’Allemagne, tandis que les Gouvernements continentaux, mieux informés, s’y refusaient. Le Cabinet de Londres risque de se fourvoyer tant qu’il verra l’Allemagne par les yeux prévenus de lord d’Abernon : un témoin oculaire nous affirme que, le jour de la fameuse « séance de deuil » au Reichstag, au lendemain de l’occupation de la Ruhr, on se montrait, dans la tribune diplomatique presque vide, le représentant de la Grande-Bretagne ; nous serions heureux, mais étonnés, que cette information fût démentie ; si elle ne l’est pas, il faut avouer que c’est là un acte scandaleusement partial en faveur de l’Allemagne. M. Bonar Law avait annoncé que l’occupation de la Ruhr serait « dangereuse et même désastreuse pour la vie économique de l’Europe » et il affirme que l’expérience lui donne raison. Jusqu’à présent le résultat a été, pour l’Angleterre, une vente particulièrement active de ses charbons à des prix élevés et une diminution du chômage. Nous souhaitons, quoi qu’en dise le Premier, le relèvement économique de l’Allemagne à la condition qu’il serve d’abord à nous payer ; et si un État est, au contraire, en droit de l’appréhender, c’est l’Angleterre qui n’est guère en état de triompher de la concurrence allemande si elle devenait aussi redoutable qu’elle l’était avant la guerre. Une fois de plus, la France travaille pour l’Angleterre, et elle a la satisfaction de constater que, si parfois le Gouvernement ne parait pas s’en rendre compte, l’opinion publique, dans sa masse éclairée, ne s’y méprend pas et témoigne de plus en plus sa sympathie à la cause française.

A la Chambre des lords, parlant au nom de l’opposition, lord Grey a déploré, lui aussi, la politique de la France ; « elle n’est pas seulement malavisée, elle est désastreuse. » Du moins fait-il preuve d’une plus juste compréhension des mobiles financiers, économiques et politiques qui ont décidé l’occupation et attribue-t-il à l’Angleterre et aux États-Unis leur juste part de responsabilités. Lord Curzon, dans sa