Terribles gens ! Ils ont à leur service, au service de leur toquade et au service de leur supercherie, une philosophie : l’évolution. Tout évolue, disent-ils ; et vous prétendez que la langue soit désormais fixée ?… Ils utilisent à leur gré une « hypothèse d’histoire naturelle » que Charles Darwin a présentée, qu’il voulait d’ailleurs qui fût prise pour une hypothèse et confinée dans l’histoire naturelle, hypothèse à présent contestée : ils en font un dogme et, plus hardiment, un précepte. Constater que toutes choses de ce monde subissent le péril du changement n’est pas une raison pour augmenter ni pour accélérer ce changement périlleux. Il faudrait se demander si le changement va toujours à une amélioration, ne va point à corrompre ce qui était en plein épanouissement. Nous n’y pouvons rien ; l’évolution n’est pas soumise à notre volonté ? Alors, tenez-vous tranquilles : c’est le moins qu’on ait à exiger de vous. Tandis que, sous prétexte d’évolution, vous bistroublez toutes choses du monde avec un entrain monstrueux. Héraclite, quand il disait que tout s’écoule et qu’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, n’en éprouvait aucune allégresse. Il a laissé la renommée d’un homme triste ; nous lui pardonnons ses aphorismes désolants à cause du chagrin judicieux qu’il en a. Au contraire, le changement, où il y a pourtant de la mort, met en joie nos rudes gaillards. Ils ne songent pas que le temps est l’ennemi, le meurtrier. L’on a beau l’appeler galant homme, le temps, on lui donne ce nom comme aux Euménides un nom aimable : c’est afin d’en obtenir quelque bienveillance. Mais le changement d’un être vivant, dès l’âge adulte, le mène à la déchéance. Et l’on dit à un enfant, pour le flatter, qu’il a grandi ; l’on ne dit pas à une dame qu’elle a changé. Notre langage n’est plus un enfant : ne souhaitez pas qu’il change.
À ce propos, M. Thérive a d’excellentes remarques. « L’écrivain, dit-il, joue essentiellement, par profession, un rôle conservateur à l’égard du langage. » Du moins, c’est le rôle de l’écrivain, son rôle naturel, de conserver le langage. Et le rôle admirable, celui de conservateur, dans un monde ou un état de choses qui endure l’incessant effort et la menace de la vieillesse, de la maladie et de la mort ! Si l’œuvre divine est, comme on l’a imaginé, une création perpétuelle, une continuité, l’on aide à l’œuvre divine ou, plus, simplement, on suit l’intention divine en conservant ou en sauvant un peu de belle réalité. Lisons encore M. Thérive : « Les forces d’évolution ne cesseront jamais d’agir… Ce que nous voudrions poser, c’est donc, par simple prudence, le mécanisme du frein : la pente n’a pas besoin