Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait erreur en mettant trente livres, que c’était de kilos qu’il s’agissait. Les renseignements pris dans les autres papeteries nous font vous dire de vous hâter de prendre le papier à soixante-cinq centimes, s’il se peut que l’on vous en fournisse au poids donné. Jugez combien cela nous contrarie ; j’étais allée à Angoulême pour savoir plus vite le résultat du voyage de Carraud, et mon désappointement a été complet. Je comptais si bien sur ces deux jours de bonne causerie, moi aussi !

Je vous vois si occupé, si entravé de toute manière, que je n’ose même émettre un souhait, de peur d’ajouter encore aux difficultés de votre vie. Savez-vous, Caro, que vous me gâtez ! J’ai été toute troublée de toutes les douces choses que vous me dites ; je serais presque tentée, s’il n’y avait pas malheur pour vous, de remercier tous ceux qui vous tourmentent, et vous jettent, pour ainsi dire, dans nos cœurs. Les aveugles ! Mépriser le Médecin de campagne ! J’ai lu une de ces critiques, celle du Temps ; une seule chose m’a étonnée, parmi tant de calomnies, de sottises absurdes ; c’est que son auteur, M. André Delrieux, ait eu le courage de la signer ; il ferait croire par là à son dévouement pour vous, qui l’aurait porté à se sacrifier. Donnez-vous donc corps et âme à un parti ! Cher Honoré, lorsque, comme vous, on a été privilégié d’une organisation unique, il faut être à l’avenir. Toutes ces différences de parti disparaissent sous le grand niveau ; l’homme de la postérité ne doit donc sacrifier qu’aux idées immuables, et sur lesquelles le temps n’agit que comme cause de perfection, sans changer rien au fond. Si vous aviez débuté par être homme politique, vous auriez pu continuer votre carrière dans le parti qui eût le plus satisfait votre conscience. Mais, placé aussi haut que vous l’êtes, mettez donc sous vos pieds toutes les misères d’actualité ; ne conservez que vos sympathies, qui sont choses sacrées.

Mon Dieu, si vous deveniez homme public, ils vous feraient bien mourir ou du moins abhorrer la vie, tous ces gens dont vous avez tant rabattu l’amour-propre ! Je crois, en vérité, que la conscience du bien que vous feriez ne suffirait pas à vous faire accepter une existence si douloureusement occupée. — Si une consciencieuse étude de moi-même ne m’avait prémunie contre toute illusion, cher, vous me mettriez de l’orgueil au cœur. Si vous gagnez quelque chose avec moi, ce ne peut être dû qu’à une façon d’être si différente de celle de tout ce qui