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pour elle, Cydalise s’est retirée. Ni les fleurs ni les billets galants n’ont plus rien qui la touche. Déjà rêveuse, et pour mieux rêver peut-être, elle s’endort. Par la fenêtre ouverte le petit ægipan se glisse à côté d’elle et le veille. Alors, c’est le duo final, qui, pour avoir d’autres interprètes, et plus nombreux, que deux voix, je veux dire quatre jambes, autant de bras, sans compter l’orchestre, n’en est pas moins un duo véritable, et d’amour véritable aussi. Il est de ceux qui finissent mal, ne pouvant d’ailleurs, étant donné deux amoureux aussi divers, se terminer par un mariage. Voici qu’aux oreilles de Styrax, à ses petites oreilles de faune, les voix de la nature sa mère se font entendre de loin. Ses compagnons, ses frères viennent aussi le chercher, le reprendre. Doucement, lentement, ils l’attirent. Il leur cède. Prenant à l’un d’eux une touffe de pavots, il la pose sur le sein de Cydalise, et s’éloigne à pas lents. Cette fin a bien de la grâce et de la mélancolie.

Un ballet aujourd’hui plus que jamais a de quoi nous charmer. D’abord il nous épargne le combat que se livrent maintenant à nos yeux, ou plutôt à nos oreilles et jusque dans notre esprit, la musique et la parole, ces deux sœurs devenues ennemies. Le ballet résout, en la supprimant, la question sans cesse posée du drame lyrique. Et cela nous apporte un véritable soulagement. Heureuse, la danse. Plus heureuse que la poésie, ou la prose, elle n’a rien à craindre de l’orchestre, de ses ambitions, de ses attentats. Légère, insaisissable, elle vole au-dessus de lui. Nul danger qu’il l’atteigne, qu’il l’emprisonne et l’étouffe comme la voix. Et puis, à notre époque, les interprètes dansants possèdent sur la plupart de leurs confrères chantants un sérieux avantage. Ils se font plus clairement comprendre. A leur manière, ils parlent, ils prononcent plus distinctement. Ils ont la meilleure articulation, ou les meilleures. Enfin le spectacle d’un ballet nous autorise et même nous aide à nous figurer que la musique se développe non pas seulement dans le temps, mais dans l’espace aussi. Visibles et sonores, lignes, mouvements se répondent, se ressemblent, et la danse mieux que la parole, unie à la musique, nous donne l’illusion d’un accord peut-être imaginaire, mais harmonieux.

Cette fois encore, on dirait volontiers de M. Pierné, comme on disait au XVIIe siècle : il a « bien de l’esprit, » à la condition d’entendre par là, comme alors, non seulement la vivacité, la finesse, mais le sentiment et la poésie. « Le caractère enjoué » dont parle Molière se fait rare en notre musique. C’est un des traits, et non le moins aimable, du musicien de Cydalise. Naguère, dans l’oratorio des Enfants à