peu huileuses, et semblaient presque trop lourds pour les branches ténues où ils reposaient ; et tout près, le long du quai, quelques Chinois voilés d’ombre, un petit marchand qui portait tout l’attirail d’un restaurant dans ses deux paniers, dans l’un, des mets préparés, des bols, un peu d’eau pour les rincer, dans l’autre des gâteaux, un petit sac plein de noisettes, une cage pour les faire griller, au-dessus d’un fourneau minuscule où trois tisons devenaient, dans l’air obscurci, la plus mystérieuse des roses ; et mon retour, dans ce wagon où il n’y avait, sauf moi, que des Chinois en soie grise et noire, coiffés de la petite calotte noire qui semble mettre sur leur cerveau un couvercle de discrétion, les uns béats et obèses, les autres, au contraire, fins et maigres, un peu fiévreux, mais tous bourgeois, prévenants, polis. Deux amis, debout, se disputaient l’honneur de se céder la dernière place : un autre, qui les connaissait, s’était levé pour prendre part à leur affable débat. Enfin, des voyageurs étant descendus, ils purent s’asseoir, et une conversation commença, toute en trémoussements et en sourires, avec des offres de bonbons et de friandises. Cependant notre train s’étant arrêté et tardant à repartir, comme nous étions presque arrivés, mes compagnons, les uns après les autres, se décidaient à descendre. Je fis comme eux ; je les vis s’évanouir, à leurs premiers pas, dans la clarté vague et laiteuse, et, levant les yeux, tandis qu’un chien faisait résonner au loin son grave aboiement, j’admirai dans le ciel d’automne, où sa pureté lui donnait un air déjà glacial, la lune évidente.
Certaines villes restent dans le souvenir du voyageur comme plus aériennes que terrestres. Telle était Nan-Kin. Mais Chang Haï, c’est la ville de la terre, celle du commerce actif, du luxe récent, et qui, avec ses bateaux, ses quais, ses hôtels, sa banalité bruyante, ressemble plutôt à un reflet de l’Amérique qu’à l’extrémité de la Chine. La guerre y a valu de gros gains à beaucoup de gens, et quoique les choses commencent à prendre un autre tour, on y respire encore cet esprit de confiance grossière que donnent des succès inespérés. C’est ici, peut-être, qu’on voit le mieux la place qu’occupent les différentes nations en Chine. Deux s’y disputent la prédominance : les États-Unis et le