la désigner. Aussi, quand un ukaze annonça que cette institution maudite, ce formidable instrument d’arbitraire et d’espionnage n’existait plus, la Russie tout entière fut transportée d’allégresse. Dans l’exultation générale, on ne s’aperçut pas que les pouvoirs et le mécanisme de la chancellerie secrète étaient simplement transférés au ministère de l’Intérieur, où seraient désormais concentrées toutes les forces de police.
Le deuxième coup de théâtre ne produisit pas un effet moins heureux. On apprit, le 18 août, que Loris-Mélikow avait supplié l’Empereur de lui enlever ses prérogatives dictatoriales, devenues inutiles, et de les réduire aux fonctions normales d’un ministre de l’Intérieur. Les organes libéraux, c’est-à-dire la grande majorité de la presse, accueillirent avec un vif enthousiasme ce retour à un ordre de choses régulier ; ils ne tarissaient pas d’éloges sur le patriotisme, la modestie, le magnanime désintéressement, dont témoignait cette abdication spontanée. Quelques publicistes affectaient pourtant de voir, dans celte orientation nouvelle, un prélude à des réformes plus importantes, l’aurore du « développement légal, » euphémisme cabalistique sous lequel tous les lecteurs discernaient le mot de « constitution. »
Mais Loris-Mélikow ne parvenait pas à vaincre la résistance de l’Empereur. Le mouvement d’opposition, qui s’affirmait de plus en plus autour du Césaréwitch, inquiétait le souverain. Personnellement, le grand-duc héritier eût été facile à ramener ; car il avait le caractère timide, l’esprit hésitant et faible. Tout au contraire, son entourage représentait une force avec laquelle on devait compter. Les conciliabules du palais Anitchkow réunissaient plusieurs hommes remarquables par la ferveur des convictions, par la connaissance des affaires, par la trempe de la volonté, par l’instinct de l’action politique ; ces hommes s’appelaient le comte Dimitry Tolstoï, le comte Worontzow, le général Ignatiew, le prince Mestchersky, enfin surtout l’éloquent polémiste du panslavisme, Kalàow, et le champion fougueux de l’absolutisme, le théologien fanatique de l’orthodoxie, Pobédonostsew. Serait-ce possible de soustraire à leur influence le pieux Césaréwitch ?
Loris-Mélikow y appliqua toutes les ressources persuasives de son éloquence et de son habileté. Le 25 août, il rencontra le