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— Eh bien ! qu’est-ce que tu as ? lui dit l’Empereur.

Le ministre de la Cour balbutia :

— C’est si grave ce que m’annonce Votre Majesté ! Est-ce qu’Elle ne pourrait pas ajourner un peu ?

— Voilà quatorze ans que j’attends, quatorze ans que j’ai donné ma parole ! Je ne tarderai pas un jour de plus.

Rassemblant tout son courage, Adlerberg reprit :

— Est-ce que Votre Majesté a informé Son Altesse Impériale Monseigneur le Césaréwitch ?

— Non... D’ailleurs, il est absent. Je lui parlerai quand il reviendra, dans une quinzaine de jours... C’est assez tôt.

— Mais, Sire, il en sera cruellement offensé… De grâce, attendez son retour !

Le Tsar prit sa voix brève et dure, une voix qui coupait toute réplique :

— Je te rappelle que je suis le maître chez moi et le seul juge de ce que j’ai à faire.

Puis il donna ses ordres pour la cérémonie.


Le mariage fut célébré le 18 juillet, à trois heures de l’après-midi, dans le Grand Palais de Tsarskoïé-Sélo. L’Empereur, qui portait la tenue bleue des hussards de la Garde, alla chercher la princesse Dolgorouky dans la petite chambre du rez-de-chaussée où ils se rencontraient d’habitude. Aidée par son amie Mlle S..., Catherine-Michaïlowna venait d’y revêtir une robe de ville, toute unie, en drap beige ; elle avait la tête nue. Après lui avoir mis un baiser sur le front, le Tsar dit simplement :

— Allons !

Et il offrit le bras à la princesse, en invitant Mlle S... à les suivre.

Les mesures avaient été prises afin que nul officier, nul fonctionnaire, nul domestique du palais ne pût se douter de ce qui allait se passer. Le général Rehbinder, commandant de la résidence impériale et qui, à ce titre, avait ses entrées partout, fut laissé lui-même dans une ignorance complète.

A travers de longs couloirs, le couple atteignit un petit salon isolé, démeublé, prenant jour par deux fenêtres sur la cour d’honneur. L’archiprêtre, un protodiacre et un psalmiste s’y trouvaient déjà. Au milieu de la pièce, un « autel de campagne » était disposé, une simple table, ne portant que les