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II — PREMIER REGARD SUR BEYROUTH

Je vais tout droit à Beyrouth, sans m’arrêter en Palestine. Il m’eût plu que mon voyage pût s’appeler D’Alexandrie à Constantinople par terre, et voilà que je saute l’étape de Jérusalem ! Cette fois, je ne visiterai pas la ville sainte. C’est par convenance profonde. Je compte mêler à une enquête précise sur nos maisons d’enseignement, les plus libres rêveries sur les multiples religions que je veux aborder avec sympathie. Je suis un esprit ardemment désireux sans doute de se faire rouvrir les sources antiques et de recueillir quelques gouttes du flot de vie qu’elles peuvent encore épancher, mais enfin un esprit chrétien, et je ne veux pas courir le risque de paraître placer sur le même plan que les vestiges des idoles le tombeau du Christ. À une autre année, la Judée ! Cette fois, je n’ai d’attention que pour voir surgir au rivage Tyr et Byblos, et dans le ciel le Liban.

Mais quelles contrariétés ! Après trente-deux heures de navigation, ce matin, quand nous touchons à Beyrouth, rien qu’un immense brouillard, épais, universel et tout chargé de pluie. Aucun Liban ! Faut-il le chercher à droite, à gauche, au-dessus de nos têtes ? Jugez de mon désappointement de trouver un rideau tendu devant la première merveille de mon voyage, devant le no 1 qui, sur mon catalogue idéal, portait : « Vue du Liban depuis la mer, décrite par Lamartine. »


Il n’est point de bouillards comme il n’est point d’algèbres
Qui résistent, au fond des nombres et des cieux,
À la fixité calme et sereine des yeux…


Pardon ! les brouillards du Liban résistent. Ils ne me laissent voir que la scène bariolée des barques et des mariniers lancés à l’assaut de nos bagages, et, au ras de la mer, la ville.

Douceur générale de Beyrouth, avec les petits carrés blanchâtres et bleuâtres de ses maisons coiffées de toitures légèrement pointues, dont les tuiles rouges font le plus plaisant effet dans la verdure. Je n’oublierai jamais cette chaleur, cette humidité, cette brume qui nous enfermaient, et, dans ce désordre du bateau tirant de cale tout son chargement, la sorte d’émotion