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désireux instinctivement de ne pas descendre du plan d’émotion où ces trois journées m’avaient haussé, je m’attachai à y chercher les effigies d’Alexandre le Grand qu’il contient en grand nombre. On sait que les artistes grecs ont interprété les éléments vrais de cette royale figure, pour en faire l’image de la destinée interrompue, et qu’ils sont arrivés à créer ainsi le symbole de toutes les nostalgies qu’éveillent la jeunesse et le génie. L’élan violent, mais toujours déçu par la mort, pour déployer les ressources surhumaines amassées dans le fond de notre être, je ne vois pas de poème ni de symphonie qui le peignent mieux que les monnaies d’Alexandre frappées par Lysimaque ou la grande médaille d’or de Tarse, ou l’Alexandre impétueux, d’une effroyable ardeur physique, de la Mosaïque de Naples, qui fut la joie suprême de Goethe douze jours avant sa mort. Ces portraits du héros dans le plein sentiment de sa force, qu’il développe avec une toute-puissance menaçante, doivent être complétés par l’Hermès du Louvre, qui nous montre le conquérant vers la fin de sa brève carrière, dans sa trentième année, quand déjà toute grâce et toute jeunesse l’ont quitté, pour faire place à la terrifiante gravité du jeune vainqueur rassasié et peut-être désabusé. Mais c’est au musée d’Alexandrie que j’ai vu le plus beau de tous les Alexandre, un moulage de la tête, aujourd’hui à Boston, qui fut retirée des boues du Nil. Ah ! la dure image de ce héros, fils des dieux et compagnon de nos imperfections ! Avec sa chevelure relevée sur le front et qui tombe comme une crinière des deux côtés de son masque léonin, c’est vraiment un lion humanisé, et là-dessus une extrême mobilité, tantôt de solitude et de mélancolie, tantôt de véhémence farouche. Un charme infini, et pourtant quelque chose de terrible, à cause de la violence de son âme, s’exhale de cette tête si fièrement portée et un peu penchée sur l’épaule gauche, de ce front large et plein, un peu bas, de ce menton aux courbes harmonieuses et douces, et de ce grand œil au regard humide et lustré.

Alexandre, la plus belle image de la grandeur, et d’une grandeur à la fois charnelle et spirituelle, complète ce que je viens de voir de grandeur surnaturelle chez nos missionnaires. Et puis ici, dans sa ville, ne devais-je pas lui porter mon hommage, à lui qui préside à tout ce chaos d’idées et de sentiments, où je vais me promener et dont il fut le premier