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principalement israélites, et, sans nuire aux écoles déjà existantes, elle élargit de quelques mailles le filet que nous jetons sur la jeunesse alexandrine.

M. Toutée me montre ses élèves, auxquels il distribue un enseignement neutre, qu’il définit avec des phrases de Ferdinand Buisson ; puis nous passons chez les filles, au milieu desquelles j’ai l’honneur de saluer leur directrice, une jeune dame très plaisante, à figure ouverte. Là encore, l’installation toute neuve est mal dégrossie, d’ailleurs en harmonie avec ce petit peuple d’enfants plus vivants que façonnés. Ces deux lycées, c’est un des rares endroits d’Orient, je le note aujourd’hui, où j’ai vu des écoliers pareils à ce que nous étions dans nos collèges de France, agités, turbulents, osés. Tout cela bien français, un peu France ouvrière, au sens le meilleur du mot, très fait pour plaire à un Michelet : salubre, un peu court, un peu privé de rêves. Impossible de parcourir sans un vif plaisir d’amitié ces deux établissements, dont la qualité française, bien virile, éclate dans cette atmosphère un peu molle d’Égypte.

Je demande si quelqu’une des élèves pourrait me faire une récitation. Une petite juive me dit le Bara de Maurice Bouchor, une autre le Cor de Vigny. Émotion d’entendre ces mots dans ces bouches étrangères. Sentiment de la dignité sacerdotale de l’écrivain dans la race.

D’ailleurs, maîtres et maîtresses se plaignent de n’avoir pas de bons livres pour enfants de quatorze ans. À leur avis, le ministre leur envoie des choses sans intérêt. Ils voudraient des auteurs modernes. Eh ! oui, mais qui de nous ? Qui de nous, écrivains mes frères, a écrit les œuvres capables d’apporter à cette jeunesse le rayonnement de la France ?

Le lendemain matin, dès neuf heures, je vais chez les Frères qui m’attendent. La Marseillaise ! Très émouvante, cette mise en scène de tous les élèves massés dans une grande cour. Un jeune Égyptien me récite des vers de sa façon, et de toutes parts quels compliments ! J’avouerai que, dans ces premiers jours d’Orient, quand on me parlait de mon « glorieux génie, qui traversera les siècles comme il vient de traverser les mers, » j’étais un peu inquiet et je me disais : « Diable, voilà le moment où les matins de l’assistance me prennent pour un imbécile ! » Mais très vite, je m’y suis bronzé, et comprenant bien qu’aux yeux de tous, ce n’était qu’une manière de parler, une