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ils répandraient le bruit que c’est l’intervention de la France dans la Ruhr qui aurait de nouveau mis le feu à l’Europe, et ils tenteraient, dans la bagarre, de s’assurer des avantages qui seraient le prélude d’un nouveau bouleversement de l’Europe par la destruction des traités qui en ont posé les assises.

Que telle soit bien la politique de l’Allemagne et ses espoirs secrets, les incidents qui ont coïncidé avec l’entrée des troupes franco-belges à Essen ne permettent guère d’en douter.

En Autriche, les pangermanistes enragent du succès de l’œuvre de salut entreprise par le chancelier Seipel avec l’appui de la Société des Nations ; si un mouvement de démagogie nationaliste se déchaînait en Bavière, sous la direction de l’agitateur Hitler, qui est un Autrichien, ils chercheraient à y entraîner l’Autriche : un coup de force dans la Bavière du Sud semble précisément sur le point d’éclater. En Hongrie, quelques troubles et des mouvements de troupes dans la région frontière ont paru assez alarmants au Gouvernement roumain pour qu’il prît aussitôt, avec beaucoup de résolution, des mesures de précaution très sérieuses dont l’effet a été rassurant. Mais la Roumanie, si elle se trouvait amenée à agir sur sa frontière occidentale, ne serait-elle pas aussitôt obligée de faire front vers l’Orient, en Bessarabie où certains éléments russes tendraient la main à l’armée rouge, de même que les Polonais, s’ils étaient dans l’obligation de mobiliser pour protéger le couloir de Dantzig et la Haute-Silésie, pourraient être menacés à Wilno ou en Galicie par les Soviets russes et les Lithuaniens. Le comte Brockdorf-Rantzau, ambassadeur d’Allemagne à Moscou, est venu récemment à Berlin où il a eu des entretiens avec le Gouvernement ; il aurait dit, s’il en faut croire la presse, que la politique russe est pacifique, mais cependant n’admettrait aucune modification nouvelle à son détriment dans l’équilibre de l’Europe orientale. Mais à Lausanne, le langage de M. Tchitcherine est moins rassurant, quand il déclare que la Russie ne reconnaît aucune des modifications territoriales introduites en Europe orientale par les traités auxquels la Russie n’a pas participé. La pacification de l’Orient par la signature d’un traité avec la Turquie n’est pas assurée, les Grecs continuent leurs intrigues, la question de Mossoul n’est pas réglée, et on peut se demander si de tels atermoiements ne cacheraient pas, chez les Turcs, l’arrière-pensée de profiter des troubles qui pourraient survenir en Europe pour obtenir des conditions plus favorables.

L’affaire de Memel est particulièrement grave, parce qu’elle met en