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séculaire. Ne la détachez pas des siècles où elle est un épisode. Ne la dénigrez pas : elle est immense. Et elle est française, en dépit de l’aide que nous avons reçue de nos alliés. Pareillement, et en dépit de ses dimensions formidables, cette guerre que notre victoire a terminée est un épisode, le plus grand peut-être, mais un épisode, dans l’histoire de l’énergie française. Elle a réclamé une force qui n’était pas neuve, des âmes que les siècles avaient formées.

L’avenir ? Pour le prévoir, ne perdez pas de vue la continuité française : et préservez-la. Il est dangereux et illusoire de se lancer à l’investigation des lendemains sans les considérer comme des lendemains, comme la suite et la conséquence des jours qui en contiennent les prémisses.

Enfin, l’idée de la continuité, que l’énorme guerre semble rompre, et qu’elle ne rompt pas, est la vérité qu’il faut craindre de méconnaître ; elle est, à bien l’examiner, la sauvegarde et le salut, sans quoi nous irions à l’extravagance, à une terrible bohème de l’esprit. Cela, en toutes choses, politiques, sociales et, puisque c’est ici mon propos, littéraires.

L’admirable jeunesse de la guerre a le sentiment, je le dis encore, très légitime de son originalité :j’en dirais bien davantage. Sans doute, aucune jeunesse littéraire ne s’est-elle manifestée, au cours de notre littérature, ayant fait ce que celle-ci a fait, sachant ce qu’elle sait, voulant ce qu’elle veut. Fut-on jamais à telle école ? eut-on jamais tant à dire ? Plus elle est sûre de son originalité incontestable, et moins elle a besoin de l’afficher, en quelque sorte. Elle l’affiche, parfois, d’une regrettable manière, en supposant qu’il faut à ses idées la singularité du style et de nouveaux modes d’expression. Sans la prier d’être docile au précepte d’André Chénier, de faire, sur des pensers nouveaux, des vers antiques,— où il y a certainement du paradoxe et la recherche d’un effet précieux,— supplions-la de continuer une littérature séculaire : de la continuer ; ce n’est pas du tout la ressasser. Notre littérature est la plus abondante et la plus variée qu’il y ait au monde, et la plus libre. Elle n’a asservi personne. Mais elle dure depuis longtemps ; elle a ses coutumes, belles et charmantes ; elle a son usage qu’on ne doit pas bouleverser. L’on ne doit pas non plus se figurer qu’on l’invente : elle existe. On la comparerait sans faute à une merveilleuse conversation de lettrés parfaits, où il ne convient pas d’intervenir sans précaution, d’une façon brutale ou arrogante.


ANDRE BEAUNIER.