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guerre a pris et rassemblé tous les hommes, penseurs et ouvriers, hommes de la tête et hommes de la main : « Ayant laissé derrière nous les villes aux subtils partages, nous avons mis au monde une égalité, tous les hommes ensemble cheminant vers l’ennemi. Depuis combien de siècles ne nous étions-nous pas rencontrés ?... » Il n’y a plus à distinguer les hommes de la tête et les hommes de la main, puisque voici réconciliés le rêve et l’action, ou accordés le corps et l’âme. Désormais, « l’esprit n’est point seul. Le corps est restauré dans la puissance et la majesté. Maintenant, il est honteux d’être faible et de ne pouvoir offrir à l’ennemi une digne proie... Peut-être la vie, fatiguée d’avoir tant pensé dans ces derniers temps, va-t-elle demander la jouvence au bain de sueur et de sang, dans un délassement séculaire de sport et de guerre... » Jouvence, jeunesse obtenue, authentique jeunesse et que la mort n’atteint pas ! il ne survivra que jeunesse, en dépit de cette apparence de toute une jeunesse tuée. La cathédrale de Reims a l’air de s’écrouler sous les obus ? « Attendons joyeusement ceux d’entre nous qui se lèveront avec l’offrande dans leurs prunelles de dessins étonnants... Nous édifierons les monuments de notre paix aussi grande que notre guerre... France, mère ardente et asséchée, tâte ton ventre et ton cerveau ! » Parmi les idées de la guerre, une autre idée s’agite confusément pour naître, l’idée de la paix, fille de la guerre, et que l’on veut à son image, grande comme elle.

La fin du livre est d’une extrême véhémence. Les soldats ont pris conscience de leur force bien dépensée : « Nous avons su nous battre. Mais gare au retour ! Que l’esprit vivement éveillé de la guerre soit respecté, ou nous serons sévères. Comme après un cauchemar, l’armée de la paix ne se rendormira pas sur l’autre oreille... » L’idée de la paix a été premièrement défaite, et puis refaite, par la méditation de la guerre. Les combattants ont appris à dire, et ont acquis le droit de dire : nous, jeunes hommes ! Ils sont en possession d’une grandeur que n’ont pas connue ceux qui ont vécu avant eux. Ils parleront : « et les vieillards n’ont qu’à se taire, qui ne surent pas nous dérober cette grandeur et nous précéder dans l’action. Nous parlerons, forts de mille et mille actes énergiques... Entre autres choses, nous avons fait la Marne et Verdun ; nos pères firent Sedan, puis y pensèrent sans en parler... Et nous saurons faire une paix comme nous avons mené la guerre. » Ainsi proclame sa volonté, son mépris, son orgueil une jeunesse exaltée.

Une jeunesse qui, n’ayant pas eu peur de la mort, ne va pas trembler