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contrariaient cette infiltration : la forêt charbonnière qui fut peu à peu défrichée, et les marais qui se transformèrent peu à peu en polders et qui marquèrent longtemps, dans les Flandres et la Hollande, le cours moyen et inférieur des fleuves. Mais cette pénétration, pour être malaisée, a été constante, et les progrès du christianisme y contribuèrent singulièrement. Dès que la langue française commença à remplacer la langue romane, elle fut employée en Flandre, concurremment avec la langue thioise ou flamande, aussi bien dans la vie privée que dans la vie publique. Cet usage ne résultait pas seulement des circonstances politiques qui rattachèrent longtemps le comté de Flandre à la couronne de France, tandis que la Principauté ecclésiastique de Liège dépendait de l’Empire germanique ; il était dû aussi aux contingences économiques qui dominent la vie industrielle et commerciale des populations du bassin de l’Escaut. Des historiens et des chroniqueurs flamands, tels que Philippe de Comines et Georges Chastellain d’Alost, se servent du français dans leurs ouvrages, et c’est en français que sont écrites, au XIVe siècle, les trois lettres de Jacques van Artevelde, le fameux « tribun de Gand » qui ont été conservées. Ce phénomène, qui n’a cessé de s’affirmer, en dépit de toutes les secousses de l’histoire, a fait l’objet de publications très intéressantes parmi lesquelles il sied de signaler celle du comte Visart de Bocarmé, bourgmestre de Bruges et doyen du Parlement belge, et celle de M. Jacques des Cressonnières, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour d’appel de Bruxelles. Les alliances et les migrations de familles ou d’individus, les relations commerciales qui s’opèrent chaque jour, depuis tant de siècles, à travers la frontière linguistique, ont aidé à ce bilinguisme.

D’ailleurs, à supposer qu’il soit besoin de longues et savantes recherches pour établir l’existence d’un tel régime dans le passé, il suffit aujourd’hui, à tout passant, d’ouvrir les yeux et les oreilles à Ostende, à Bruges, à Courtrai, à Gand, à Anvers, à Malines, à Louvain, à Hasselt ou à Tongres, — bref, dans toutes les cités flamandes, — pour que, à lire les enseignes, à surprendre des bribes de conversations, il soit convaincu de la persistance d’un fait évident qu’il est permis d’opposer à toutes les théories qui voudraient poursuivre par l’action des lois une « unification linguistique » qui n’est ni dans les habitudes, ni