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train qui entrait et faisant voler en éclats toutes les vitres. Ce train apportait les bagages du Tsar et le personnel de la chancellerie impériale : c’était le train de la suite, qui réglementairement aurait dû précéder d’une demi-heure le train de Sa Majesté ; mais un accident de machine, survenu près de Kharkow, avait interverti l’ordre des deux trains.

A deux mètres sous le ballast, on découvrit les traces d’une mine et les débris d’un appareil électrique. L’engin communiquait par un souterrain de quatre-vingts mètres avec une masure contiguë à la voie, et qui avait été louée quelques semaines plus tôt par un ingénieur, prétendant s’appeler Soukhorokow : le locataire avait disparu après l’explosion.

En apprenant le péril auquel il venait d’échapper, Alexandre II s’écria :

— Mais qu’ont-ils contre moi, ces misérables ? Pourquoi me traquent-ils comme une bête fauve ?


L’attentat de Moscou inaugura une nouvelle tactique des nihilistes. Désormais, tous leurs plans, tous leurs calculs, toutes leurs audaces, toutes leurs haines, toutes les puissances de leurs âmes ténébreuses et forcenées se concentrèrent sur la personne de l’Empereur.

Le 17 février 1880, à six heures et demie du soir, les habitants de Saint-Pétersbourg sursautèrent au bruit d’une détonation formidable. En même temps, on vit s’élever au-dessus du Palais d’hiver un épais nuage de fumée. La salle à manger de la résidence impériale venait de sauter.

Alexandre II avait engagé à dîner ce soir-là son neveu, le prince Alexandre de Battenberg, récemment élu prince de Bulgarie ; mais il s’était un peu attardé à s’entretenir avec lui dans son cabinet de travail, et ce retard fortuit l’avait sauvé.

L’explosion avait fait néanmoins de nombreuses victimes. Placée dans les soubassements de l’édifice, la mine avait détruit tout le corps de garde situé au rez-de-chaussée, juste en dessous de la salle à manger : soixante-sept soldats du régiment de Finlande étaient ensevelis sous les décombres, d’où l’on retira dix-neuf morts et quarante-huit blessés.

L’appartement de l’Impératrice, contigu à la salle à manger, avait trépidé sous la violence de la commotion. Marie Alexandrowna