Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Etat pour les déférer à des cours martiales qui se montrèrent implacables : un immense complot mina de toutes parts la société russe, où la contagion de l’assassinat politique se répandit furtivement à travers les masses comme une effroyable épidémie. On ne comptait plus les procureurs impériaux, les juges d’instruction, les maîtres de police, les officiers de gendarmerie, les directeurs de prison, qui servaient de cible aux nihilistes.

Dans la matinée du 14 avril 1879, l’Empereur faisait, comme d’habitude, un tour de promenade aux environs de son palais, quand un jeune homme qui venait en sens inverse tira sur lui quatre coups de révolver. Les quatre balles se perdirent dans le mur de la maison voisine.

L’assassin fut arrêté à l’instant même. Tandis qu’on l’entraînait au poste, il essaya de s’empoisonner.

Agé de trente ans, il s’appelait Alexandre Soloview et il exerçait la profession d’instituteur. Sur la genèse et les circonstances de son crime, il refusa de s’expliquer. Cependant, le juge d’instruction le pressait de tout dire, lui exposant avec douceur que des aveux complets profiteraient beaucoup à sa défense. Il répondit froidement : « N’insistez pas ; vous ne saurez rien de moi. J’ai fait depuis longtemps le sacrifice absolu de ma vie. D’ailleurs, si je me laissais arracher des aveux, mes complices me feraient tuer,... oui, dans cette prison même où nous sommes. »

L’attentat de Soloview éclaira d’une lueur sinistre toute la situation de l’Empire. Mais que faire ? Au sein du Gouvernement, c’était le désarroi. Les ministres se disputaient, incapables de s’accorder sur aucune mesure pratique, de se rallier à aucune opinion, sauf pour déblatérer contre les services de la police secrète et particulièrement contre le général Drenteln, qui avait succédé au général Miézentsew comme chef de la Troisième section. Personnellement, Alexandre II répugnait aux remèdes extrêmes ; il consentit enfin à proclamer « l’état de siège renforcé » dans les régions où le mal était le plus profond.

Six gouverneurs généraux furent désignés pour assumer, à Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Varsovie, à Kiew, à Kharkow et à Odessa, l’exercice de l’autorité supérieure avec des pouvoirs extraordinaires : droit d’arrêter ou d’expulser toute personne suspecte ; droit de suspendre ou d’interdire toute publication périodique ; droit de prendre, par initiative directe et