Après quelques minutes, il rapporta un verdict d’acquittement. Résolus à ne pas condamner la coupable, les représentants de la conscience sociale n’avaient pas hésité à nier le crime. A peine le président eut-il achevé la lecture de ce verdict imprévu, que tout le public éclata en applaudissements. Véra Zassoulitch sortit au milieu d’une ovation, qui se changea en un délire d’enthousiasme, quand elle parut devant la foule qui attendait sur la place du Palais de justice. Un cortège se forme aussitôt. Dans un concert d’acclamations furieuses, l’héroïne est portée en triomphe vers la maison du général Trépow. Mais une charge de gendarmes et de cosaques arrête soudain cette marche triomphale. Un régiment d’infanterie ouvre le feu. La multitude se disperse, laissant derrière elle une traînée de morts et de blessés. Dans cette déroute, Véra Zassoulitch disparaît, enlevée par ses amis.
L’incident éveilla, en Russie, un terrible écho. A Kiew, à Moscou, à Kharkow, à Odessa, les manifestations révolutionnaires se suivirent sans trêve, comme si elles s’engendraient l’une l’autre. Celles d’Odessa furent particulièrement graves : elles avaient eu pour organisateur un des plus redoutables chefs du parti nihiliste, Kowalsky. La police réussit à découvrir sa retraite et à s’emparer de lui. Condamné à mort, il fut exécuté le 14 août.
Les représailles ne se firent pas attendre.
Deux jours plus tard, le général Miézentsew, chef de la Troisième section, qui traversait à midi une des places les plus fréquentées de la capitale, reçut en pleine poitrine un coup de poignard, dont il mourut aussitôt. L’agresseur exécuta son geste avec une telle audace, une telle promptitude, une telle sûreté de l’œil et de la main, que tous les passants demeurèrent ahuris, comme s’ils étaient frappés d’un éblouissement ; personne n’essaya de poursuivre l’assassin, qui ne fut jamais retrouvé.
Entre le tsarisme et le parti révolutionnaire, ce fut dorénavant un duel à mort. Aucun moyen ne répugna aux illuminés du terrorisme, aucune pitié ne les arrêta, aucun forfait ne leur parut trop odieux, aucune répression ne les intimida. En vain, la police multiplia-t-elle les arrestations préventives et les déportations dans les bagnes sibériens ; en vain, le Gouvernement retira-t-il au jury la connaissance des crimes contre la sûreté de