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le résultat une fois acquis, la délivrance une fois opérée, quitte à s’en parer et à tenir, en son propre nom, l’enfant sur les fonts du baptême. Ainsi s’assurerait-elle, à bon compte, une reconnaissance qui ne lui coûterait rien.

Mais il y avait la Prusse ; et que ferait-elle si l’Autriche réclamait son appui ? Sans doute, une rivalité d’un siècle avait créé une curieuse rivalité entre la dynastie si longtemps détentrice de la couronne du Saint Empire Romain Germanique, et la race peu sûre des Hohenzollern, promue à la royauté par brevet impérial de Léopold Ier. Sans doute, Frédéric II avait enlevé à l’impératrice Marie-Thérèse les provinces auxquelles elle devait tenir davantage, et le petit-fils de Marie-Thérèse ne les avait point recouvrées lors de cette refonte de l’Europe que les tenants de la Sainte-Alliance avaient combinée et accomplie à leur profit. Grandie singulièrement alors par ces gîtes d’étapes qu’elle avait ménagés à ses ambitions désormais sans limites, la Prusse de 1700 avait crû au point de devenir, devant l’Assemblée réunie à Francfort, la concurrente unique de l’Autriche aristocratique et catholique, d’y apparaître en qualité de Puissance libérale, presque libre-penseuse, parce que protestante.

Mais on avait bien vu que ce n’était là qu’une apparence ; si jamais la Prusse devait accéder à l’Empire, c’était des rois, non des peuples qu’elle entendait recevoir la couronne, et, dans sa rivalité avec l’Autriche, elle n’avait garde de sacrifier à ses ambitions la solidarité monarchique. Le Prince royal de Prusse, à ce moment lieutenant, à pouvoirs limités, du Roi son frère, ambitionnait une régence qui le mit hors de lisières. Il avait, le 8 octobre 1858, congédié le ministre Manteuffel (anti-autrichien), et appelé au pouvoir le prince Antoine de Hohenzollern, le général Bonin, et le baron de Schleinitz, nettement réactionnaires, inclinant vers l’Autriche, peu portés vers la Russie, hostiles à la France. On prétendait que l’empereur Napoléon III, lorsqu’il avait appris la formation de ce ministère, avait dit : « Cela se comprendrait si l’on se battait en Italie, mais à présent, c’est stupide. » Cavour, lui-même, écrivait au ministre du Roi à Berlin : « Cette modification fâcheuse nous cause une juste inquiétude. » Là était le danger ; il ne se manifesterait point tout de suite, à condition que l’Autriche fût assez habile pour laisser au Piémont le rôle d’agresseur, mais si, par la suite, au lieu de la victoire qu’elle escomptait, et dont elle se croyait assurée, l’Autriche, comme en d’autres temps où sa confiance au succès de ses armes n’était pas moins établie, éprouvait des échecs, la Prusse ne la laisserait point écraser, et peut-être entraînerait-elle la Confédération germanique.

Il était donc d’une importance capitale que l’on ne pût imputer aux Alliés franco-sardes d’avoir déclaré la guerre, car un tel acte eût