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Mais, je le sais. Votre Majesté est père autant que roi, et c’est comme père qu’elle hésite à consentir à un mariage qui ne lui parait pas convenable et n’être pas de nature à assurer le bonheur de sa fille. Que Votre Majesté me permette d’envisager cette question, non avec l’impassibilité du diplomate, mais avec l’affection profonde, le dévouement absolu que je lui ai voués.

Je ne pense pas qu’on puisse dire que le mariage de la princesse Clotilde avec le prince Napoléon soit inconvenant.

Il n’est pas roi, il est vrai, mais il est le premier prince du sang du premier empire du monde. Il n’est séparé du trône que par un enfant de deux ans. D’ailleurs, Votre Majesté doit bien se résoudre à se contenter d’un prince pour sa fille, puisqu’il n’y a pas, en Europe, des rois et des princes héréditaires disponibles. Le prince Napoléon n’appartient pas à une ancienne famille souveraine, il est vrai ; mais son père lui léguera le nom le plus glorieux des temps modernes, et, par sa mère, princesse de Wurtemberg, il est allié aux plus illustres maisons princières de l’Europe. Le neveu du doyen des Rois, le cousin de l’Empereur de Russie, n’est point tout à fait un parvenu auquel on ne puisse sans honte s’allier.

Mais les principales objections qu’on puisse faire à ce mariage reposent peut-être sur le caractère personnel du Prince et sur la réputation qu’on lui a faite. A ce sujet, je me permettrai de répéter ce que l’Empereur m’a dit avec une entière conviction : qu’il vaut mieux que sa réputation.

Jeté tout jeune dans le tourbillon des révolutions, le Prince s’est laissé entraîner à des opinions fort exagérées. Ce fait, qui n’a rien d’extraordinaire, a excité contre lui une foule d’ennemis. Le Prince s’est modéré, mais ce qui lui a fait grand honneur, c’est qu’il est resté fidèle aux principes libéraux de sa jeunesse, tout en renonçant à les appliquer d’une manière déraisonnable et dangereuse ; c’est qu’il a conservé ses anciens amis, bien qu’ils eussent été frappés par des disgrâces. Sire, l’homme qui, en arrivant au faite des honneurs et de la fortune, ne désavoue pas ceux qui furent ses compagnons d’infortune, et ne désavoue pas les amitiés qu’il avait dans les rangs des vaincus, n’a pas mauvais cœur. Le Prince a bravé la colère de son cousin pour conserver ses anciennes affections : il ne lui a jamais cédé sur ce point, il ne lui cède pas davantage aujourd’hui. Les généreuses paroles qu’il a prononcées à la distribution