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nous éloignera l’un de l’autre : ce sera comme la mort, et j’aurai ma religion du souvenir.

J’ai besoin de vous croire, quant à l’argent ; mais vos odieuses Revues !... Il y a bien des gens odieux dans vos relations, et que ne puis-je les connaître ! M. Dupacq [1] m’écrit de Gravelines qu’il a appris votre folie dans ce pays ; qu’il en est désespéré ; que la postérité perd immensément, etc... Qui donc a fait cette calomnie, que vous ne pourrez pas radicalement détruire ?... Vous êtes trop bon, vous croyez trop à tout ce qu’on vous dit. Ne perdez pas la lettre de Delphine Gay. Montrez-la à Paris, dussiez-vous en être contrarié. Montrez-la dans son salon même ! Oh ! non, une vie comme la vôtre ne doit pas s’accrocher à une femme. Un être comme vous ne peut ni ne doit se consacrer exclusivement au bonheur de personne. Votre destinée est plus grande et plus amère ! Il vous faut une femme qui disparaisse derrière vous, et se fasse belle de son obscurité volontaire, qui ait de l’esprit et de l’amour quand vous en voudrez, et jamais hors de là. Comme je sens cela !...

Vous allez donc en Italie ? Seul ?... Oh ! non... Comme vous le dites, les voyages élargissent les idées, mais si vous voulez être un homme politique, convient-il de vous éloigner ainsi ? J’ai peur, je vous le dis en rougissant, car c’est une injure peut-être, j’ai peur que vous ne calquiez votre extérieur sur celui de Chateaubriand, et vous ne devez imiter personne !...Soyez vous, vous, entendez bien.

Je suis mauvais juge de certaines de vos douleurs, je les plains pourtant. Mais votre jambe ? Prenez-y garde, vous êtes replet, et si vous lui donniez le moindre exercice avant complète guérison, le voyage d’Italie surtout l’envenimerait. Que votre plaie soit fermée, je vous en supplie, avant de vous exposer à cette nouvelle fatigue. Je vous aurais bien écrit plus tôt, mais j’ai été assez indisposée pour ne pouvoir le faire. Votre lettre m’a fait du bien ; j’aurais voulu pourtant vous avoir écrit avant. — Mon Dieu, pourquoi vous faut-il penser économie et calculs ? Mariez-vous, Honoré, bien que nous ayons tous à y perdre, car une nouvelle et puissante affection dans votre cœur obscurcira et rétrécira la place que nous y tenons. Mais mille raisons rendent un mariage nécessaire à vous.

  1. Ou plus exactement Dupac, officier, ami des Carraud.