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intrigues de l’intérieur et de l’extérieur : aussi les pêcheurs en eau trouble ne se faisaient-ils pas faute de tendre leurs filets et de risquer maints coups de harpon. Le Sultan lui-même, prisonnier des siens, en butte aux mille combinaisons que ne cessaient de lui suggérer les agents des Puissances étrangères, ne savait, si j’ose dire, à quel marabout se vouer. C’est dans ce milieu dangereux et trouble que se mouvaient les représentants de la France avec mandat de maintenir l’ordre, et que débarquèrent nos troupes et leurs chefs.

L’accord de 1904, suivi de l’arrivée de colons français, avait suscité, parmi les quelques négociants allemands établis au Maroc, un grand mécontentement. Dès lors, ils n’eurent plus qu’un but : semer sous les pas des Français les traquenards et les embûches. Ils utilisèrent pour cela tous les moyens et déployèrent une perfidie et une ténacité prodigieuses.

A peine eûmes-nous fait sentir le poids de nos armes, dont la force étonna tous ceux qui ne croyaient plus en elles, que l’opposition se déchaîna. L’Allemagne, parvenue de la dernière heure en matière coloniale, et qui, jusqu’alors, n’avait jamais pensé au Maroc, s’avisa soudain que cette terre était un morceau... d’empereur : la République voisine était indigne de la protéger.

Une vaste organisation politique, ordonnée et conduite avec une méthode implacable, prit naissance et exerça une action graduelle et formidable qui ne devait finir qu’en 1914, avec l’arrestation de ses principaux agents, véritablement « commissionnés » par l’Empire d’Allemagne. Un service serré d’espionnage et de contre-influence étendit ses ramifications jusque dans le Sud du Maroc. Des agents furent placés à Rabat, à Mazagan, Fez, Mogador, Marrakech. Les renseignements et les nouvelles étaient centralisés à Casablanca par le chef du service et transmis à Berlin par le canal des consuls et du représentant de l’Allemagne à Tanger. Inversement, et par la même voie, arrivaient les instructions et les ordres. Le but de cette organisation était de discréditer la France auprès des Marocains et dans le monde entier, de fomenter la révolte, de créer des difficultés de toute nature et de tous les instants, enfin de rendre impossible à la France l’exécution de son mandat. Ce n’est que grâce à l’énergie inlassable de nos représentants, à leur clairvoyance, à leur dévouement que le monde put atteindre 1914 sans que se