Romanow, vient de défiler ainsi devant moi. Jamais encore, je n’avais si bien compris cette appellation des Tsars : « les rassembleurs de la terre russe. »
Afin de compléter ce grand tableau symbolique, voici maintenant les trois ordres de l’Empire, les nobles, les marchands et les paysans, qui s’avancent processionnellement, groupés autour de leurs bannières emblématiques. J’ai là, sous les yeux, comme une figuration résumée du peuple russe.
Deux pelotons de cuirassiers terminent cette partie du cortège.
Un intervalle. Puis des chants, des cierges, des psaumes. C’est le clergé qui entre en scène.
Rien de plus impressionnant que cette longue troupe majestueuse, vêtue de velours noir aux broderies d’argent. Sous la rigide carapace des mitres et des chasubles byzantines, qui laissent à peine entrevoir leurs visages et leurs mains, les métropolites et les évêques ont l’air d’icones mouvantes.
Tout de suite après, vient le char funèbre, surmonté de panaches blancs, attelé de huit chevaux noirs drapés de crêpe. Trente pages l’entourent avec des torches allumées.
A l’intérieur du char, quatre aides de camp généraux, debout, encadrent le cercueil qui s’allonge sous une couverture d’hermine et d’or.
Derrière, marche l’empereur Alexandre III, nu-tête, le cordon bleu de Saint-André en écharpe, la taille droite, l’air imposant et robuste. Les grands-ducs lui font escorte.
L’impératrice Marie-Féodorowna et ses jeunes fils, les grandes-duchesses et les dames de la Cour suivent dans des carrosses de deuil.
Le cortège est fermé par les troupes de la Garde.
Tandis que le défilé s’achève, le général Chanzy nous mène directement à la cathédrale de la Forteresse. Nous y arrivons en même temps que le char, d’où l’Empereur et les grands-ducs enlèvent le cercueil sur leurs épaules pour le porter sur le catafalque.
Alors, dans l’église illuminée, devant l’iconostase étincelante et mystérieuse, commence l’admirable liturgie des morts.
La famille impériale est placée à droite du catafalque.
Les dignitaires de la Cour, les ministres, les généraux, les sénateurs, les gouverneurs civils et militaires, tous les grands corps de l’Etat remplissent la nef.