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et vagues,.. « Alors, voici le voyage que peu à peu je rêve pour nous et que nous ne ferons jamais... » Tout le poème ou le roman n’est que le récit de ce voyage imaginaire.

Imaginaire, ce voyage ?... « Le bateau s’appellera d’un nom de pays chaud, d’un nom évocateur, un peu bizarre, voluptueux et sonore, qui soit de bon augure, le nom d’une montagne ou d’un fleuve d’outre-mer... » Mais ce bateau passe le golfe de Gascogne et descend vers le Sud. « La mer deviendra toute tranquille et lisse, d’un bleu indigo violent. Elle commencera de charrier les longues chevelures d’algues qui forment d’interminables îles flottant à la dérive, allant je ne sais où, et qu’on nomme les raisins des tropiques... » La pleine mer ; et enfin la terre est en vue. On l’a signalée : une île se dessine, pelée, peu escarpée, sous le ciel nuageux. Elle ne paraît point exotique à merveille. Pour l’enfant blonde, quelle déception ! « Quoi ? demande-t-elle ; est-ce donc là le prestigieux aspect des tropiques ? Et ce ciel où les nuages lourds et blancs s’accumulent, n’est-il point celui du parc de Saint-Cloud ? — Attendez, petite fille impatiente. » Il ne veut pas qu’elle soit déçue ; il la supplie de ne pas l’être : « Vous portez dans vos yeux la fortune entière de mes rêves... » C’est à peine s’il avoue à lui-même qu’il a grand peur de la Terre promise.

Et voici la Terre promise. Où est-elle ? Vous ne le saurez pas. Mais il y a une grande rade, qui semble fermée comme lac ; « une ville paresseuse et plate est couchée au soleil sur le rivage ; vers la droite, en bas d’une colline, une sucrerie, nette malgré la distance, a l’air d’un joujou dont les petites cheminées n’osent blesser le ciel... » Il y a des chaloupes, des remorqueurs, des bateaux à voiles, des pirogues et des gabares.

Il y a des nègres. Et c’est amusant, d’être dans un pays de nègres. Il y a des palmiers et des cocotiers, qui mêlent leurs panaches tout à fait exotiques. Et c’est un plaisir, d’avoir trouvé enfin l’exotisme, de voir des feuilles épaisses, lourdes, comme découpées dans du plomb, dans du caoutchouc, des feuilles qui ne sont pas fragiles et que ne toucheront point l’automne ou l’hiver : d’ailleurs, ce pays ne connaît pas l’hiver.

De belles promenades et, au retour, la maison de bois sans étage, peinte en blanc, la véranda où se réunissent l’ombre et les fleurs.. « Un palefrenier indien passe, emmenant boire ses mulets. Sur le seuil de sa porte, la cuisinière mulâtresse gourmande un négrillon. Nous voyons ses gestes, sa robe mauve, son madras jaune. Des éclats de sa voix courroucée nous arrivent... » Où sommes-nous ?