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Ici commence le long calvaire de nos directeurs de banque, obligés de résister, chaque jour, à des exigences nouvelles et à des menaces pour des actes contraires à leur devoir professionnel. Le séquestre, installé dans le bureau de la direction, donnait des instructions non seulement pour le siège de Lille, mais pour les autres sièges de la même banque, sur toute la surface du territoire occupé. Il exerçait les pouvoirs les plus étendus, ordonnançait les mouvements de fonds sans l’intervention du directeur. Son activité s’employait surtout dans les achats de titres et de coupons des pays neutres, dont la recherche faisait l’objet d’un service spécial de publicité et de démarches, avec l’attrait de la prime de change. Si le client résidait sur place, c’était à lui de prendre la décision, mais, quand il s’agissait des valeurs appartenant à des déposants hors du territoire occupé, alors surgissait le conflit avec le séquestre, qui voulait obliger le directeur de banque à partager la responsabilité de cette opération, faite à l’insu de l’intéressé.

Pour comprendre toute l’importance de ces achats en titres ou coupons, et le parti que l’Allemagne a tiré de cette organisation des séquestres, il nous suffira d’indiquer que les évaluations faites pour ce genre de transactions, dans la seule région du Nord, ont porté sur un total de plus d’un demi-milliard de francs. L’Allemagne se constituait ainsi des disponibilités pour continuer la lutte, et le comble, c’est que celles-ci ne lui coûtaient rien, puisqu’elle les payait avec les bons communaux que les villes devaient lui verser pour contributions de guerre.

Nous pourrions encore dramatiser cet exposé en décrivant les différentes phases de cette lutte et quelles en furent les victimes. Un seul fait montrera ce qu’il en coûtait de contrevenir aux ordonnances allemandes. M. Seven, inspecteur principal de la Banque de France, a été condamné à six mois de prison et 5 000 marks d’amende, pour ce simple fait d’avoir donné accès aux coffres à quelques clients, en dehors des heures fixées par le bureau de contrôle.

Le système des représailles permettait aussi d’inclure, dans les listes de prisonniers civils, des chefs ou directeurs de maisons, sur lesquels l’autorité allemande désirait faire porter plus particulièrement le poids de ses sanctions. Tel fut le cas notamment pour deux directeurs de Banque, M. Louis Gigon, à Lille, et M. Delouvrier, à Charleville, dirigés en plein hiver vers un