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lumière, le charbon et le pain, et où bien souvent plusieurs membres de la famille s’entassent sur un seul matelas ?


Cette lettre ne reçut aucune réponse, et la décision fut appliquée sans ménagement.

Une autre mesure montrera également tout l’odieux de ces réquisitions. Par un arrêté en date du 25 mars 1918, la Kommandantur a informé la Ville que, sur l’ordre du Grand Quartier Général, plusieurs statues ou monuments devaient être démontés et expédiés en Allemagne, comme métaux rares.

A cet acte de vandalisme, le Maire a répondu par une protestation, qui mérite également de ne pas tomber dans l’oubli :


L’autorité allemande a souvent, et dans maints écrits, affirmé sa volonté d’épargner aux œuvres d’art les conséquences destructives de la guerre. J’étais donc mal préparé à subir la mesure qui nous frappe aujourd’hui, et contre laquelle j’ai le devoir d’élever une énergique protestation.

A la valeur artistique des monuments que vous allez nous ravir s’ajoute surtout le culte des souvenirs qu’ils symbolisent. Cette atteinte au patrimoine moral sera cruellement ressentie par tous les Lillois, profondément attachés aux traditions de leur passé glorieux. Ils en garderont au cœur une blessure inguérissable.


Les mêmes injustices se retrouvent dans le paiement des objets réquisitionnés, car on ne peut même pas dire qu’il fût opéré suivant les règles qu’avait tracées l’administration militaire elle-même. Dans bien des cas, c’était là encore un nouvel arbitraire qui donnait à ces mesures un véritable caractère de spoliation. D’après les affiches, des bons de réquisition devaient être délivrés par l’autorité allemande ; mais en réalité, ils ne l’étaient que sur la demande pressante des réquisitionnés, les policiers chargés de ce service ayant pour instruction d’en délivrer le moins possible. Ces bons mentionnaient la nature et le poids des objets enlevés, qui étaient pesés en dehors des intéressés, sans aucun contrôle. Quant aux objets cachés que l’on découvrait pendant les perquisitions souvent renouvelées, ils étaient immédiatement saisis, et les délinquants frappés d’amendes, ou emprisonnés.

Enfin, après que tout fut pris dans les magasins et dans les entrepôts de la Ville, l’autorité allemande exigea que les articles dont elle avait besoin et qu’elle ne trouvait plus à Lille fussent