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frais que de peine, un immense protestantisme flottant. S’il ne donne point aux jeunes gens que son influence atteint, une véritable formation, du moins les rend-il sensibles à de nouvelles modes. Ils se montrent, se répandent, et leurs figures où ne règne plus l’antique retenue de leur race, deviennent de vraies petites affiches d’orgueil. Ils remplacent la civilité raffinée de leur pays par des manières plus expéditives ; il ne faut du reste pas oublier qu’à côté de la grande tradition de politesse, il en est une autre, en Chine, moins suivie, mais toujours maintenue, de cynisme et de crudité, et plus d’un, parmi les étudiants, la relèverait volontiers à l’égard des étrangers.

A côté des quartiers modernes, la ville chinoise s’étend, avec ses rues droites, ses boutiques, ses inscriptions propitiatoires. Les marchands de chaque province sont groupés en associations, dont chacune a pour siège une maison opulente. J’étais guidé, dans mes promenades, par M. Lecomte, consul de France, connaisseur érudit de l’ancienne Chine autant qu’observateur avisé de la nouvelle. Il m’a mené voir la maison des marchands du Kiang-si. Comme cette province est celle de la porcelaine, toute la bâtisse, au bord d’une ruelle étroite et tranquille, est égayée de plaques de revêtement, que couvrait, le jour où je les vis, le rire grêle d’un soleil d’octobre. Nous parcourûmes les salles fastueuses, où trônaient les génies ventrus tout dorés, où pendaient les lourdes lanternes, où régnait ce luxe cossu, bourgeois, plantureux, bordé d’une fioriture de détails menus, d’ornements qui semblent représenter les mignardises, les enfantillages, les imaginations rabougries suspendues à la masse imposante du matérialisme chinois. Mais quelque chose était plus charmant : c’était le petit jardin muré, avec son pavillon, son bassin, son îlot minuscule, ses quelques buissons rougis, où, à deux pas de la cohue et du bruit, il semblait qu’on eût mis l’automne en cage.


LE BAS-FLEUVE

Il y a une poésie particulière dans la dernière partie du cours des grands fleuves. On dirait qu’enfin sûrs de leur destination, ils jettent dans les roseaux les armes avec lesquelles ils avaient bataillé jusque-là et calmes, pacifiques, irrésistibles, ils se laissent glisser vers l’Océan, en entraînant l’azur dans leurs ondes. Le voyageur, lui aussi, cède à cette immense facilité ; il