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que nous sommes cantonnés dans notre vie particulière, tout alors, jusqu’à nos soucis, nous préserve de ces mélancolies sans petits prétextes, où l’on respire en soi l’inanité de l’univers. Elles sont un des charmes les plus puissants et les plus secrets du voyage. C’est dans ces dispositions que je me suis rappelé un dernier poème et que je me le suis murmuré, au soir tombant :

« Une aile de corbeau donne ses coups de pioche dans l’air assourdi. Sur la pente, la ville se confond avec le terrain. Seul le toit plus élevé d’un temple entame le ciel. Pourquoi donc es-tu si triste ?

« Est-ce de n’être pas assez sage et de sentir toujours en toi tes pauvres désirs, pareils à ces pêcheurs qui ne se fatiguent point de jeter leurs filets, où toute la richesse des mers ne leur rend jamais que quelques pâles poissons qui frissonnent ?

« Est-ce de regretter le temps naïf où tu désirais, et seul, détaché de tout, tel qu’un arbre auquel manqueraient ses racines, frémis-tu soudain d’être trop sage ?

« Ah ! ne dis pas ta peine. Avoue seulement que l’ombre descend, et que, comme un dernier regard s’enfuit de l’œil d’un mourant, le jour se retire des eaux immobiles. »


HAN-KÉOU

Sur les deux bords du Yang-Tse et de la rivière Han-Kiang, dans un paysage plat et presque inondé, s’étend Han-Keou, Wou-Tchan, Han-Yang, la triple ville. C’est ici que beaucoup de gens voient le centre et la capitale de la future Chine, entre le Nord et le Sud, lorsqu’un chemin de fer ira de Pékin à Canton, qu’un autre, le long du fleuve, remontera jusqu’au Se-Tchuen agricole et riche en mines.

Quoique le fleuve soit ici à douze cents kilomètres environ de son embouchure, l’influence des étrangers se fait sentir presque autant que sur la côte ; à côté de la ville chinoise, s’étendent les Concessions, avec leurs quais, leurs rues à l’européenne. On y remarque de vastes maisons qui tiennent du cercle, de l’hôtel et du collège. Ce sont les établissements de la fameuse Y. M. C. A., Young Men Christian Association. Les jeunes Chinois sont là reçus, traités, divertis, et comme on ne leur demande guère, pour toute marque d’adhésion, que d’inscrire leur nom sur des listes, on constitue ainsi, avec bien plus de