dans des robes d’un blanc jaunâtre, les suit de degré en degré. Des paysans arrivent en barque, avec des paniers pleins de légumes joliment disposés, qu’ils rafraîchissent, au moment d’aborder, avec l’eau souillée. Au haut des marches traînent des soldats somnolents, un clairon lamente. Sur la canonnière, tout est propre et net, les matelots alertes sont à leur poste d’appareillage et je regarde ces visages français dont chacun a son étincelle. Un rayon atteint, près de l’autre rive, les grosses jonques à l’ancre, qui semblent en bois de rose. Au fond, les montagnes barrent l’horizon. Elles m’annoncent le vieux Setch’uen, la province chinoise entre toutes, la patrie des grands poètes. Alors un frisson de plaisir parcourt l’âme matinale du voyageur, il bénit sa vie et se livre au monde.
Nous sommes partis. La ville défile sous nos yeux et, derrière elle, un temple vaporeux surgit dans l’or du soleil, sur une colline. Bientôt nous entrons dans les premières gorges. Les montagnes plus hautes étreignent le fleuve, où un ruisseau vient perdre ses cheveux d’argent. Des étagères de culture sont accrochées à leurs pentes. Quelques beaux arbres y mettent aussi leurs verdures. Un papillon d’un noir velouté traverse en palpitant, dans l’ombre fraîche, d’une rive à l’autre. Là-haut, dans le soleil, sur la ligne de faite du mont le plus élevé, et encore exhaussé par un socle de terre, un petit temple qui paraît inaccessible brille d’une blancheur presque incandescente.
J’attends impatiemment le premier rapide. Il s’annonce là-bas, devant nous, par la barrière des flots rebroussés. À bord, tout le monde est attentif. L’officier de quart donne des ordres brefs à l’homme de barre, tandis que le vieux pilote chinois, qui aurait bon air, n’était la casquette de cycliste dont il est coiffé, avec sa figure sagace, sa veste de velours noir et sa jupe beige, regarde d’un œil exercé cette eau dont il sait les ruses, et fait des gestes secs de sa main onglée. Nous voici dans la révolte des flots. Des entonnoirs se déplacent en tournant. Le fleuve nous jette l’insulte de ses paquets d’eau. La canonnière, ébranlée, arrêtée comme par une épaule, vibre, vacille et l’épais vomissement de fumée qui sort de sa cheminée avoue son effort. Au-dessus de ce combat, comme des penseurs dédaigneux de l’action, les grands sommets rêvent.
Dans l’après-midi, nous avons franchi d’autres rapides,