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Et qu’avec un grand roy, des mortels adoré,
J’ay choisi pour séjour ces campagnes glacées,

Amour, qui vois sans yeux mes secrettes pensées,
Si je t’ay jusqu’icy saintement révéré,
Chasse, ô Dieu ! le regret dont je suis dévoré,
Et tant de passions dans mon âme amassées,

Fay qu’avec moins d’ardeur je désire à la voir,
Ou que de mon grand roy congé je puisse avoir,
Ou m’apprens à voler et me preste tes ailes,

Ou ne fay plus long temps mon esprit égarer,
Ou tempère mon mal qu’il se puisse endurer,
Ou m’enseigne à souffrir des douleurs si cruelles.


Ainsi s’exprimait Desportes durant son exil « en la froide Scythie », tandis que Madeleine de L’Aubespine se hâtait de déplorer sur le luth les tristesses de son âme :


Quiconque dict qu’Amour se guarist par l’absence
N’a esprouvé l’effort de son bras tout puissant :
Mon mal en est tesmoing, qui va tousjours croissant
Plus j’esloigne l’objet de ma douce souffrance.

Mon espoir bien heureux jouit de la présence :
D’Amour mon cher soucy et mon cœur languissant
Se forgent sans cesser un amour renaissant
De [tes perfections dont il a souvenance.

Quand tes yeux pleins d’amour sont aux miens opposez
Et que j’oy tes propos si chers et si prisez,
Mes sens, ravis d’amour, perdent la cognoissance.

Mais or que loing de toy je languis sans pitié,
C’est or que je congnois quelle est mon amitié,
Croissant à qui mieux mieux mon mal et ma constance.


Ces belles affirmations n’empêchèrent pas Desportes, lorsqu’il regagna la France après neuf mois de séjour en Pologne, de s’apercevoir d’un certain changement dans l’attitude de Mme de Villeroy. Il s’en plaignit dans des vers délicieux qui font songer, en plein XVIe siècle, aux bergers de Favart et de Watteau :


Rosette, pour un peu d’absence,
Vostre cœur vous avez changé,