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les résistances qu’elle oppose à l’amour ? Un malheur de ce genre n’est-il pas une de ces causes qui jettent des femmes épouvantées à l’ombre des sanctuaires ? Pourquoi faut-il que M. Hauptmann se soit cru tenu de corser ce pathétique sujet, et de le gâter, à mon sens, par un épisode inutile ?

C’est que M. Gerhart Hauptmann est toujours resté, quoi qu’il fit, l’homme de ses débuts. Chose curieuse ! Aux environs de 1890, à l’heure où E. M. de Vogüé signalait la renaissance de l’idéalisme, renaissance inspirée par les littératures du Nord, ces mêmes littératures se trouvaient dominées par notre naturalisme et par cette conception des choses que représentent les noms de Zola et de Maupassant. On exagérera difficilement l’action du puissant écrivain de l’Assommoir sur le roman et le théâtre allemands de la fin du dernier siècle. Son école, presque nulle en France, doit être presque toute cherchée à l’étranger. L’auteur des Tisserands doit certainement une part importante de son art et de son inspiration sociale au romancier visionnaire et trop souvent grossier de Germinal. C’est ce qui explique pourquoi son » idylle paysanne, » qui eût, trente ans plus tôt, évoqué la Petite Fadette, nous rappelle brusquement, en 1921, la saveur de la Terre.

Il faut en faire notre mea culpa ! C’est la « faute à Zola, » pour dire comme la chanson, si cette touchante histoire du pur et malheureux amour de deux adolescents, finit dans le fumier, et si le beau fruit vierge et sauvage de la jeunesse d’Anna se trouve changé brusquement en un objet de dégoût. Le deus ex machina de ce coup de théâtre est un personnage tellement inutile à la fable, que j’ai pu la conter sans dire un mot de lui. Il y a, dans la sainte maison de la ferme de Rosen, une espèce de vaurien, frère de la Schwarzkopp, une de ces croix que le ciel se plaît à imposer dans les familles, dont les frasques font le désespoir de tout ce qui les entoure, et dont on ne parle qu’avec un soupir de résignation. Ce joyeux pochard, l’oncle Just, est d’ailleurs dessiné avec beaucoup de verve et, soit dit en passant, moins d’après les modèles de Zola que d’après ceux de Dostoïewsky. Ses discours baroques et cyniques rappellent le Marméladoff de Crime et Châtiment. Comme ce Russe de célèbre mémoire, ce pécheur a la manie bizarre de l’abjection, et la faculté de se confesser abondamment de ses fautes, se croyant dispensé par là de faire aucun effort pour n’y