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Les trois missions sont donc rangées en cercle dans l’ordre suivant : la mission anglaise, la mission italienne, la mission française.

La mission anglaise n’est pas seulement la première par le privilège d’ancienneté de Buchanan, mais encore par le nombre de ses membres. Ainsi, elle compte deux délégués civils, lord Milner et lord Revelstoke, alors que les missions italienne et française n’en comptent qu’un, Scialoja et Doumergue ; et elle aligne six généraux contre deux italiens et deux français. Néanmoins, au point de vue militaire, le général de Castelnau nous confère indiscutablement la prééminence de l’autorité morale et technique : les services éclatants qu’il a rendus pendant cette guerre, la mort glorieuse de ses trois fils, le stoïcisme chrétien de sa résignation, la noblesse de son caractère, la générosité de son cœur lui mettent au front une sorte d’auréole...

Buchanan et Carlotti présentent successivement leurs délégations. Je remarque une fois de plus que l’Empereur échange à peine quelques mots avec les chefs de file et qu’il prolonge volontiers ses entretiens quand ses interlocuteurs sont de rang plus modeste.

— A mon tour, je lui présente Doumergue et j’entends tomber de sa bouche les inévitables questions .

— Vous avez fait un bon voyage ?... Vous n’êtes pas trop fatigué ?... Est-ce la première fois que vous venez en Russie ?...

Puis, quelques phrases insignifiantes sur l’alliance, la guerre, la victoire. Doumergue, qui ne peut que plaire à Nicolas II par sa franchise et sa cordiale simplicité, fait de vains efforts pour relever le ton du dialogue.

Avec le général de Castelnau, l’Empereur n’est pas moins vague, ne paraissant même pas se douter du rôle éminent qu’il a joué en France, ne trouvant pas un mot à lui dire pour ses trois fils tués au feu.

Après quelques propos affables aux fonctionnaires et officiers subalternes qui composent la suite de la mission française, Nicolas II se retire. Et l’audience est terminée.

Pendant le retour à Pétrograd, j’observe chez lord Milner, chez Scialoja, chez Doumergue, la même déception de cette cérémonie.

Intérieurement, je songe à tout le parti qu’un monarque,