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Elle n’en a pas moins dix-neuf ans, et on ne voit pas pourquoi, lorsqu’elle se sent aimée, elle semble craindre et fuir l’amour. Elle a eu bientôt fait de deviner le jeune homme, et on n’attendrait pas qu’elle s’en montrât fâchée. Quelle fille n’est bien aise qu’on l’admire ? Anna n’est point coquette et n’est pas en état de faire la difficile ; dans sa situation, ce n’est pas peu de chose de rencontrer un mari. Le trouve-t-elle un peu bêta ? Mais non, quand il lui lit son fameux Arminius, elle admire. Qu’il perde, après cela, la tête devant elle, quel plus délicieux hommage ? Pour tout le reste de l’univers, un galant qui ne sonne mot passera pour un nigaud ; la femme qu’il aime lui sait gré d’un trouble qui lui donne la mesure de son pouvoir. Quelle est donc la femme d’esprit qui raconte que le compliment qui l’a le plus touchée dans sa vie, fut celui d’un enfant qui, dans son égarement, l’avait appelée : « Monseigneur ? » Du reste pour délier les langues les plus stupides, une fille un peu adroite ne manque jamais de ressources ; et quelle fille, fût-ce la plus sage, n’a pas de ces adresses, et ne se croit permis, sans manquer à l’honneur, de venir au secours d’un amoureux dans l’embarras ?

D’où vient donc que la jeune fille, loin d’encourager son ami, lui résiste et combat son inclination naissante ? Pourquoi répondre à ses désirs par une inconcevable froideur ? On dirait qu’Anna a souffert, et souffert par l’amour, et que l’amour désormais ne lui inspire que de l’horreur. Elle semble partagée entre la tendresse qui la gagne, et on ne sait quelle révolte contre cette faiblesse. On entrevoit un secret qui a flétri dans son âme les jeunes illusions. C’est une enfant butée qui boude contre la vie. Un obstacle invisible l’écarté du bonheur. Et, lorsque le jeune homme la presse et la supplie, elle ne répond que par des larmes.

Ces sentiments ne se comprendraient guère, si nous ne nous trouvions ici dans un petit milieu piétiste, dont la peinture forme la partie la plus curieuse du poème de M. Hauptmann. Le village de Rosen, où il a placé son idylle, appartient en effet à cette partie de la Silésie, qui a été le théâtre d’une bizarre expérience religieuse. Salzborn, où il fait naître son héros, ressemble fort à Obersalzbrunn, où il est né lui-même, en 1862. Il n’est guère douteux qu’il nous ait représenté ici quelques-unes de ses impressions d’enfance et de