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plume. Nul n’ignore que l’oiseau divin seul sait chanter. Les autres sifflent, gazouillent, mais n’ont point de registre. Ils ne possèdent que trois ou quatre notes égales, répétées sans inflexions. Lui, bien qu’il ne connaisse pas de ton, ni de rythme, que l’on ne puisse point écrire ce qu’il chante, il module sa berceuse, car il ne chante qu’à la saison des nids, il enfle, file, précipite les sons, traîne ou rompt la phrase, la pique de cris fluides, l’emplit de soupirs ou de sanglots pathétiques, monte et descend la gamme en quelques coups de gosier, respire enfin entre deux éclats, comme s’il sentait la valeur d’un silence subit... Et tout cela est pur, éclatant, facile...

Les pinsons, les chardonnerets, les merles, les loriots, les derniers surtout, sifflent à toute heure, s’appelant de taillis en taillis, se répondant comme des flûtes alternées. Certains jours, quand le soleil se lève plus rayonnant, ils ne peuvent plus se taire. Lui, aime le silence et l’ombre. Il dédaigne de répondre ou de jouter, il veut seul ébranler les échos des futaies. Le bruit de l’homme, des bêtes et des choses s’est éteint, le bruit des créatures qui vivent et peinent le jour, et les hôtes de la nuit, les petits carnassiers n’ont pas commencé encore leur maraude, ni les hiboux en chasse poussé leur ululement plaintif. Il prélude alors de sa voix de cristal... Chantant avec délice, avec passion, ivre d’espoir, perché au-dessus du nid fécond où sa femelle couve et réchauffe ses petits, il les couvre, il les inonde d’harmonie, des accents échappés de son cœur, afin de bercer l’une en sa tâche de vie, afin de verser aux autres, avec l’exemple, le goût et l’instinct de l’incomparable cantilène. Et, du dôme infini qui retentit, pour le rafraîchir, la rosée commence à distiller.

On dit que nos enfants sont fils de nos pensées plus que de notre chair. Les mirages qui ont séduit nos yeux ou nos âmes les doivent enchanter, et tels qui tentent les déserts ou les mers, attirés par un souvenir, éblouis par un nom, réalisent le rêve paternel. L’oiseau divin peut-être le sait-il ? C’est pourquoi il ne chante qu’auprès d’un berceau...


JOSEPH DE PESQUIDOUX.