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s’est poursuivie en ligne jusqu’à la grande route, donnant l’impression d’un envahissement fécond. Bien entendu, le vin circulait à volonté. Je ne dis rien des propos, des caquets, des éclats de voix. Ils ont déjeuné, avant le travail, dîné à midi, mais sobrement, afin de rester légers et souples pour se plier sur l’outil, diné enfin à la nuit faite. Ce repas les a dédommagés de celui de midi. Installés dans la grange du lieu, autour d’une table massive, ils ont épuisé le fût mis en perce à l’aube, englouti des volailles, dévoré des pains, des pâtisseries, « bu le café », avec le « doigt » d’armagnac traditionnel. Et puis, à minuit, avec la lune haute, ils sont partis, et l’on entendait le rire frais des jouvencelles sonner sur le chemin, tandis que les jeunes gens les harcelaient gentiment...

La pièce replantée fait partie d’un bien donné en dot à ma fille ainée, mariée au Maroc, à un officier, « un de ces fils de la poudre » dont parlent les Arabes. J’ai gardé sur leur demande la direction de leur terre. J’y continue l’effort paternel. Je dote le lieu de ce qui lui manquait encore, du moins en Suffisance, de l’étalon de valeur de la terre ici, de vigne. J’ai tenu, dès le début de sa vie nouvelle, à assurer le ménage sur la terre. La vigne, en s’enfonçant, va rencontrer un sol particulièrement substantiel. Il est fait de sable, d’argile, de cailloux ferrugineux, et solide, épais, serré comme du marbre, il offre au cep un aliment susceptible de fortifier un chêne. Il a nom le « terrebouc. » Il passe ici pour incompressible. La maison élevée dessus ne saurait branler, pas plus que les Pyrénées, au fond de l’horizon, en face, assises sur deux pays. Le souvenir de ce terrebouc, de ce fond stable s’est lié en mon esprit au souci de l’établissement de ce couple et de l’assolement de cette vigne, et je les ai enracinés à côté l’un de l’autre...


IV. — L’OISEAU DIVIN


Mai.

J’ai entendu chanter ce soir le premier rossignol. Monté à la cime d’un chêne, à la lisière d’un bois, il jetait de là sous la voûte lactée son hymne brûlant et suave. L’arbre et l’oiseau étaient baignés d’un côté de clarté lunaire et noyés de l’autre d’ombre nocturne. Et l’oiseau, au bout de sa branche, ressemblait à une étoile à demi dévoilée. La lumière touchait sa gorge, et l’on voyait la palpitation sonore la faire battre sous la