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LE LIVRE DE RAISON

II[1]


II. — LES PREMIERS VOISINS


7 avril 1922.

On vient de me « reconnaître comme premier voisin. » C’est un étranger qui s’est rendu acquéreur d’un petit bien jointif au mien. Il confronte, du côté du Levant, à deux de mes métairies. A vrai dire, mes métayers seuls sont ses premiers voisins. Mais ils lui ont dit « d’aller voir le Monsieur, » puisqu’il est le maître de leur terre ; de le « reconnaître » en forme de salut d’arrivée, et il a commencé par moi sa tournée d’installation dans le pays. Je l’ai accompagné un moment, le long d’une haie mitoyenne pleine de merles aux rires éclatants, à travers des bourrasques de vent qui les faisaient brusquement se lever, en causant de cet antique usage de voisinage. Il est descendu du Nord chez nous, attiré vers la lumière, vers des matins plus hâtifs et des soirs plus lents à tomber, vers plus de douceur dans la terre et plus de joie chez les hommes. Il ne se tient point de contentement de respirer sous un firmament profond, de fouler un sol qui ne perd point sa robe de vie, sa robe verte, où les arbres, l’hiver même, certains jours, sont enveloppés de tant de rayons qu’ils ne paraissent plus dépouillés. Et puis la race lui agrée ; gaie, spirituelle, accueillante, familière et courtoise, elle crée autour d’elle une ambiance qui séduit. L’étranger, devant qui les mains et les seuils se sont

  1. Voyez la Revue du 15 mars.