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très bien un ministre, si on en avait besoin. J’ai de plus sur les bras une assez grande maison, et elle ne manque ni d’ordre, ni d’économie. Je suis fort capable du commun, et voilà ce que ces messieurs no voulaient pas voir, de peur d’être obligés de faire de moi quelque chose... [1] » Afin d’achever la démonstration, il donne tout son soin à ses dépêches : «...Si mes dépêches sont un peu appréciées, si elles servent à faire évanouir les dernières préventions et montrent ce que je puis en affaires, il n’y aura que demi-mal... [2] » Seulement Chateaubriand n’est point sur que l’on prenne la peine de les lire.

Néanmoins, en cette fin de mars, il est allègre et plein d’espoir. Il a fait à Berlin son temps de « probation ; » à Paris qu’il va revoir, il obtiendra sans doute le haut poste digne de ses hautes facultés...


A Paris, cependant, son vieil ami Fontanes agonise ; et il l’apprend brusquement ; il jette aussitôt un cri de douteur dont M. Le Moine reçoit l’écho :


Berlin, 27 mars 1821.

« J’espère avoir un congé, et vous embrasser à la fin d’avril. Vous devez tous être bien effarouchés de cette affaire du Piémont. Cela passera comme tant d’autres choses.

« Encore un billet à envoyer minute pour minute.

« J’espère toujours que votre fille est hors d’affaire... Hélas ! je pleure presque cet excellent Fontanes ! Je vous embrasse. Ch. [3]. »

Le billet inclus dans cette enveloppe portait à Mme Récamier un pathétique gémissement :... « Je suis au désespoir de la maladie de Fontanes. Je tremble de l’arrivée du prochain courrier. J’aimais tendrement Fontanes. Il avait l’air de devoir me survivre de longues années. Que nous sommes peu de chose ! Et que cela va vite ! A bientôt ! [4] »

Fontanes ! c’est un peu toute sa propre jeunesse que Chateaubriand aime aussi tendrement en lui. Fontanes ! s’il meurt, avec qui René pourra-t-il encore évoquer ses beaux jours ? Parmi tant de regrets s’insinue la pointe d’un remords ; depuis

  1. Corr. gén. A la duchesse de Duras, p. 121.
  2. Corr. gén., p. 175.
  3. Inédit.
  4. Corr. gén., II, p. 216.